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Le dernier contingent

Alain Julien Rudefoucauld
















D'emblée entraîné dans le sillage de Marco, Goliath de la banlieue bordelaise, le lecteur se trouve pris dans un tourbillon infernal où sombrent Malid, le lettré qui vend son corps, tout comme Manon, même si elle ne joue pas dans la même cour, Sylvie (elle a eu le tort de molester deux voyous qui voulaient apprendre la vie à sa petite sœur), Xavier le lecteur-voleur de bédés, et Thierry bousillé très tôt par des adoptifs (ils ne méritent pas le nom de parents) pervers. Leur route va se croiser là où les autorités tentent de les contrôler. Juges, éducs, flics, autant d'obstacles mis sur un chemin qu'ils n'ont pas anticipé, pris dans cette course folle, et dont les balises vont se définir entre survie et vengeance, dans un crescendo de haine et d'incompréhension., au cours d’une fuite éperdue et vaine.

Ce n'est pas une promenade de santé, âmes sensibles s'abstenir : la violence du langage est à la hauteur de la brutalité ou du désespoir des protagonistes, qu'ils soient du côté de la délinque ou des redresseurs de torts. Sans oublier le sexe aussi : assorti de fougue ou de violence, qu'il soit tarifé ou non. 

Quant à la langue : c'est Céline revisité par Audiard! Un rythme effréné, j'ai dû interrompre ça et là la lecture pour reprendre mon souffle! : 
"ah le mec, c'est un, un dindon, un, un, pintadeau! Un chapon! J'sais pas comment ils font les Vouvous pour travailler avec lui. Aux ordres il est. Le doigt sur la couture. Un pauvre type qu'arrête pas de faire chier l'éduc chef. Ce mec faut le dégraisser. Stage de balayage dans les foyers. Quarante jours, sans manger, à peine. Tous les directeurs,ils,devraient y passer. Tous. Ça rend humble. Comme nous."

C'est Malid qui donne le ton, il a beaucoup lu et beaucoup retenu, mais sur ce terrain, les autres ne sont pas à la ramasse. Les mots sont torturés, triturés, ré-inventés (le correcteur d'orthographe a dû péter un plomb), scandés avec l'énergie du désespoir et brandis comme des armes inutiles face à des cibles inaccessibles et vainement combattues.

L’auteur ne ménage personne, et l’on se prend une sacrée claque, pas de démagogie ni d’apitoiement, juste un constat d’une réalité sociale dérangeante, et dont les sources sont trop complexes pour y appliquer un contrepoison unique : les antidotes judiciaires ou éducatives sont autant de cautères sur une jambe de bois.
Et pourtant on se surprend à sourire! grâce à cette écriture riche et imagée : 

«on marche pas. On limace dépressif. Les escargots à côté de nous c’est Usain Bolt, et c’est pas les baggies qui nous causent l’effet, parce que les pantalons de taulards on les a pas, rien, tenus de marin à la con, et faut les laver en plus»
«C’est comme un film sur les graffitis en allemand, avec des sous-titres en sioux où ils parlent finlandais»
«Ils ont des tronches pas possibles les chameaux de près. Gueule prétentieuse. les dents en avant. L’air du fort en thème fier de son dico. Tout ce qui fait qu’on les tabasse.»
Ce roman a obtenu le prix France-Culture télérama, auquel participent des lecteurs.

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