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Avoir et se faire avoir

 Eula Biss 










A partir des éléments de son quotidien et de sa biographie, Eula Biss s’interroge et nous interroge ce qui fait notre façon d’être au monde, et ce qui nous inscrit dans une vision globale du fonctionnement de notre société. 

Rétrospective individuelle, mais aussi historique et l’on apprend beaucoup de la genèse du capitalisme, de l’évolution des classes sociales, mais aussi de tout ce que nous construisons mentalement pour justifier les privilèges dont nous bénéficions. 


Pas de  discours militant qui pointe du doigt les désignés responsables, mais une réflexion honnête  et sincère autour du problème. 


On n’y trouvera pas non plus d’une perspective centrée sur l’effondrement inévitable. Il s’agit plus d’un arrêt sur image, d’un état des lieux. 


Le texte soutient également des valeurs féministes, en mettant en évidence un état de fait, héritage d’un monde patriarcal.


L’autrice aborde également le sujet de l’art et de la valeur attribué aux œuvres, qui n’a rien à voir avec le talent mais repose sur la loi du marché !


Ecrit dans une langue simple et accessible, cet essai est très intéressant et se lit comme un bon roman, tout en offrant une belle occasion de faire le point sur une question centrale de notre condition d’humain grégaire .



280 pages  Payot et Rivages 13 mars 2024

Traduction : Justine Augier 








Personne ne comprend aussi bien  les privilèges que ceux qui n'en ont pas .


*


Et ce que je voulais par-dessus tout, c'était l'illusion de permanence que procure une maison. Des fondations solides, des briques, qui ne s'envolent pas, un sentiment de sécurité. Un fantasme, je le savais, mais qui semblait bien réel.


*


La pauvreté généralisée n'est pas une anomalie. C'est l'opulence largement répandue qu'il l'est. Et si nous appréhendons cette opulence nouvelle avec de vieilles idées forgées dans la pauvreté, nous ne nous comprendrons pas nous-mêmes.


*


On appelle ça « opportunity hoarding », expression qui décrit une situation dans laquelle les privilégiés contrôlent l'accès aux ressources communes, comme l'éducation, un phénomène qui se manifeste sous la forme de procédures d'admission, de tests, de frais de scolarité, d'autorisations de classements et de certifications diverses. Nous ne pensons pas, et c'est bien commode, ces barrières comme des moyens de protéger notre statut de classe, mais comme des mesures nécessaires pour évaluer l'intelligence, la capacité, l'implication, l'excellence ou le sérieux du travail.





Eula Biss


Née en 1977, Eula Biss  est une écrivaine non romanesque américaine qui est l'auteur de quatre livres.

Elle a remporté de nombreux prix.


L'âne Culotte ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️❤️

 Henri Bosco 












C’est toujours la même émotion, et le même émerveillement, des années après la première lecture , que de parcourir les petits chemins de Provence, et de revivre cette étrange histoire d’un domaine où la magie à toute sa place. 


L’âne vedette, celui que les garnements appellent Culotte fait le lien entre le village et le jardin merveilleux, et que le curé Chichambre recommande de choyer. Lorsque Constantin brave les interdits et monte jusqu’à la maison de Cyprien, il découvre un univers aussi idyllique que mystérieux, où les animaux vient en totale harmonie avec le vieil homme, tous, sauf un…



L’histoire est fort bien menée, et l’intrigue se révèle peu à peu, portée par les témoignages des différents personnages. Chacun a compris à sa façon ce qu’il a observé, et le lecteur en fera la synthèse. 


Tout n’est pas rationnel, et heureusement. Le pouvoir de Cyrpien sur la nature ne mérite pas d’explication logique; il faut le prendre comme il vient, et confier l’émotion à l’enfant en chacun de nous.



Folio 215 pages 1937

Râleuses 







Je créerai le jardin. Bientôt, par lui, quand l’hiver sévira, je travaillerai en secret l'esprit de la terre. L'hiver !… Je ne puis le haïr : c'est la saison des serres tièdes, et des vieux sortilèges, des dieux qui naissent sous la neige close, des prières. Je l’attends.


*


Car il parlait trop bienl’abbé Chichambre. Il avait l'éloquence du cœur. Elle l'emportait tout à coup si loin que jamais il ne finissait son prêche sans vous recommander, non seulement la charité chrétienne envers les hommes, mais encore (ce qui est rare à la campagne), un peu de bonté pour les bêtes.



Henri Bosco


Fernand Marius Bosco, dit Henri Bosco, est un romancier français.


Il est né d'une famille provençale et piémontaise.Un écrivain met toujours peu ou prou de lui même dans ses écrits. Bosco y a mis beaucoup, surtout de son enfance.En 1968, il se voit décerner le Grand prix du Roman de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.

Bientôt les vivants ⭐️⭐️⭐️

 Amina Damerdji











Dans les années 90, Sidi Youcef est un village où il aurait faire bon vivre, si la politique et la religion n’y avaient pas semé le désordre et la terreur. C’est dans ce contexte de guerre civile que Selma tente de vivre sa jeunesse et sa passion pour les chevaux. 


Si les différents partis s’affrontent et massacrent aveuglément, la discorde s’immisce au sein même des familles pour peu que les voies divergent. L’oncle de Selma et son propre père deviennent des ennemis, ce qui plonge dans  désespoir leur mère , qui rêve de repas partagés autour de la table familiale.



Ce roman, qui retrace cette période de bouleversement de la société algérienne, avec la montée de l’islamisme, touche par l’incarnation du conflit au sein d’une famille dont chaque personnage intervient avec ses doutes et ses espoirs. On vit avec Selma et sa famille l’angoisse du drame qui menace en permanence. 


Peuplé de personnages sans concession, chez qui l’on sent la violence latente, prête à s’exprimer  au moindre prétexte, le récit ne laisse pas indifférent. 



288 pages Gallimard 4 janvier 2024








Voilà à quoi jouent nos enfants maintenant, soupirèrent-ils. Eux-mêmes avaient cessé depuis longtemps de réprimander leur progéniture quand elles feignaient d'arracher la tête d'un petit frère, en brandissant une branche taillée en couteau.




Amina Damerdji


Amina Damerdji est née en 1987 en Californie; elle a grandi à Alger jusqu'à la guerre civile puis en France où elle commence à écrire de la poésie. Elle a publié des textes dans plusieurs revues de poésie et a écrit, en 2015, un recueil "Tambour-machine". Elle est co-éditrice de la revue La Seiche.

Bientôt les vivants est son deuxième roman



Sans valeur ⭐️⭐️⭐️

 Gaëlle Obiégly











Etonnant sujet d’inspiration pour ce roman (ou ce récit ?) qui a le mérite de l’originalité ! En effet, c’est un exercice inédit que de consacrer des pages, même si elles sont peu nombreuses , à un petit tas de papiers abandonné dans la rue ! 



La narratrice recueille l’amas comme on le ferait avec un animal abandonné et se livre a un développement introspectif autour du contenu de sa trouvaille. Sous forme d’un journal, qui justifie le choix du thème : 


« Le journal a une pureté qui procède de son impureté. Il n’y a pas de sujet noble ni de dérisoire dans un journal intime »


Avec même un suspens qui tient le fil rouge, puisqu’un ticket de PMU permet de rêver à une fortune potentielle !




C’est inattendu, mais le charme de l’écriture maintient l’attention. La brièveté de l’écrit est plutôt un choix adroit, car il aurait dans doute été difficile de garder le cap sans s‘ennuyer avec un développement de plusieurs centaines de pages. 


144 pages Bayard 10 janvier 2024 








J'injecte une histoire là-dedans. C'est artificiel, j'aime bien. J'invente différentes histoires pour répondre au mystère du petit tas d'ordures dont émerge le spectre d'une destinée.



*


Les vieux amis, les vieux couples, les familles répètent souvent les mêmes choses. Pour le plaisir de l'évocation qui fait, croit-on, revenir l'évènement. Juste sa légende, en fait.


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Je n'ai rien en tête, alors je philosophe. Autrement dit, j'apprends à mourir.




Gaëlle Obiégly



Née en 1971, Gaëlle Obiégly est une romancière française, 

Les malvenus ⭐️⭐️⭐️

Audrey Brière 












Tout commence par la découverte d’un nourrisson abandonné dans la forêt, fragile mais en vie. 

Des années plus tard, le cadavre de TS, un mauvais bougre qui s’est fait une longue liste d’ennemis git dans la cave d’une vieille dame. L’homicide ne fait pas de doute, si l’on considère les outrages commis sur le corps. 


Mathias Lavau sera chargé de l’enquête, lui l’enfant du pays, élevé par les soeurs  à l’orphelinat et qui a su à temps s’amender de ses frasques de jeunesse. 


Le crime fait resurgir de vieilles histoires sordides, que tout le monde préférerait laisser enterrées. 


Et il faudra toute la perspicacité de Mathias et l’expérience qu’il a acquise auprès de Bertillon, créateur de l’anthropométrie judiciaire, et de son assistante Esther pour faire le clair dans cette affaire.


Un polar dont l’intrigue complexe se construit et se déconstruit au gré des fausses pistes. Les personnages ont l’art de semer le doute. C’est suffisamment embrouillé pour ne pas trop chercher  en cours de lecture et se laisser porter par la narration jusque tout s’éclaire. 


Un polar agréable à lire, et qui aborde sans s’appesantir la naissance de l’anthropologie judiciaire. 


350 pages Seuil 3 février 2023


Audrey Brière a 37 ans et vit en région parisienne. Les Malvenus est son premier roman 






La sorcière de Limbricht ⭐️⭐️⭐️

Susan Smit 











Bien que la chasse aux sorcières ait connu un déclin au dix-septième siècle, Entgen Luitjen fera malgré tout les frais d’une accusation qui cache son jeu et vise à combattre une rébellion où la magie n’a pas sa place. 


A Limbricht, Entgen est connue pour sa science des plantes et l’aide qu’elle prodigue volontiers à quiconque lui demande un remède pour apaiser les maux de tous les jours. Pourquoi alors se retrouve -t-elle, à soixante-quatorze ans  face à ceux qu’elle a soulagé, dans le box des accusés ?  Est-ce parce que l’indépendance qu’elle revendique dérange ? Où paie t-elle pour l’implication de son défunt époux dans la rébellion contre le seigneur des lieux ? 


Susan Smit nous fait revivre ce cauchemar subi par tant de femmes, dont elles ne pouvaient se sortir tant l’absurdité de la quête des preuves était un non-sens.


Ode à la femme libre, à toutes celles qui dérangent par leur aspiration à l’autonomie, et par la volonté de ne pas rentrer dans le rang 


Ce roman basé sur des faits réels 


312 pages Charleston 1er février 2024

Traduction : Marie Hooghe








Chez les femmes, la vieillesse est apparemment laide, humiliante, menaçante. Le regard des gens, vous ignore, se fixe sur quelque chose derrière vous, ou à côté de vous. Vous êtes un obstacle gênant à leur vue–dénué de beauté, de fertilité et donc d’utilité.p 18


*



 Y a-t-il eu des cas ou des femmes qualifiées de sorcières ont été jugées innocentes par le tribunal ?




Susan Smit



Née en 1974 Susan Smit est une écrivaine, femme de lettres, chroniqueuse et mannequin néerlandaise. 





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