Claudine à l'école ⭐️⭐️⭐️⭐️

 Colette











Pour le cent cinquantième anniversaire de sa naissance, Colette occupera une place centrale dans le monde littéraire, succédant à Proust, qu’elle désignait comme un « petit complimenteur », un « jeune et joli garçon de lettres », avis méprisant qu’elle révisera après avoir été séduite par la lecture de Du côté de chez Swann.


C’est donc l’occasion de lire ou relire l’oeuvre de la sulfureuse femme de lettres.  


Claudine à l’école, paru en 1900, évoque l’adolescence de l’autrice. Dans un milieu rural, la vie est partagée entre la solitude de la maison familiale, seule avec son père qui passionne beaucoup plus pour ses limaces que pour le quotidien de sa fille, et l’école, lieu de tous les émois imaginables. Les jeunes filles assistent avec une curiosité malsaine aux relations à peine voilées entre deux de leurs institutrices, Mlle Sergent et Melle Lanthenay éveillant chez Claudine une rancoeur tenace, car elle se voit privée de l’amitié de cette dernière. 

L’arrivée d’une nouvelle élève mettra en évidence ce qui ne s’appelait pas à l’époque du harcèlement. 


Vient le temps du brevet, dont l’issue unique est l’accès à l’école normale pour devenir elles-même institutrices.


Ce personnage de Claudine est loin d’être sympathique : tyrannique, exclusive, vaniteuse et imbue de sa personne, comme elle ne s’en cache pas dans ces pages constituant son journal d’adolescente. Maltraitante avec ses amies, certaine d’être au-dessus du lot, que ce soit pour sa beauté ou son intelligence.


Malgré tout la lecture est intéressante. En particulier sur le plan historique, et sociologique. Découvrir le programme du Brevet de la fin du dix neuvième siècle, avec les épreuves d’écriture dont on a tout oublié (qui sait encore ce qu’est la ronde moyenne ou la batarde, à l’heure des polices sans sérif ? ). 

La sortie de fin d’année pour aller présenter les élèves à l’examen est un morceau d’anthologie, à la fois drôle et édifiant. 


Parlerai-je de cet odieux médecin libidineux, très attiré par le charme juvénile de ces demoiselles ?


L’écriture a la charme désuet des écrits du passé, d’autant que le texte s’orne de termes vernaculaires, heureusement expliqués en notes de bas de pages 


La question se pose, à la fin de ce premier tome de la série des Claudine, de suivre Claudine à Paris. Ce sera vraisemblablement la curiosité qui l’emportera .


254 pages livre de poche Première parution en 1900

Club de lecture des Râleuses 







C'était une pauvre vieille école, délabrée, malsaine, mais si amusante!...Le rez-de chaussée, nos deux classes l'occupaient, la grande et la petite, deux salles incroyables de laideur et de saleté, avec des tables comme je n'en vis jamais, diminuées de moitié par l'usure, et sur lesquelles nous aurions dû, raisonnablement devenir bossues au bout de six mois.


*


L'odeur de ces classes, après trois heures d'études du matin et de l'après-midi, était littéralement à renverser.


*


Et le nombre d’aiguilles qu’une couturière use en 25 ans quand elle se sert d’aiguilles à O,50 F le paquet pendant 11 ans, et d’aiguilles à 0,75 F pendant le reste du temps, mais que celles de 0,75F sont… etc.. etc.. Et les locomotives qui compliquent diaboliquement leurs vitesses, leurs heures de départ et l’état de santé des chauffeurs! Odieuses suppositions, hypothèses invraisemblables, qui m’ont rendu réfractaire à l’arithmétique pour toute ma vie!


*

On ne peut pas contenter tout le monde et soi-même. J'aime mieux me contenter d’abord...




Sidonie-Gabrielle Colette



Colette (1873-1954), de son vrai nom Sidonie-Gabrielle Colette, est une femme de lettres française, connue surtout comme romancière, mais qui fut mime, actrice et journaliste. 











De rage et de lumière ⭐️⭐️⭐️


 Jeanne Pham-Tran












De l’institut Gustave Roussy, où sa mère vit ses derniers mois, à Calcutta où elle suit à la trace un médecin qui tente de venir en aide aux plus démunis, Jeanne Pham Tran retrace cet épisode de sa vie, où les émotions et les sentiments abondent.


Tout ce qui concerne l’histoire de la maladie de sa mère incite à l’empathie, et l’on ne peut qu’apprécier le courage de cette femme  au parcours digne de louanges. Cependant c’est le parcours de toute personne atteinte de ce type de pathologie et la dignité en plus ou en moins n’y change pas grand chose. 


C’est certainement la partie consacrée à la reconstitution du parcours du médecin gallois qui est la plus  étonnante. Personnalité hors du commun, cet homme qui a commencé par végéter au fin fond du pays de Galles dans une ferme isolée et improductive, a su réinventer sa vie et reprendre des études pour accomplir son destin. Le personnage est sympathique C’est son travail de journaliste qui l’a amenée à s’intéresser à cet être bougon, qui a vécu mille vies, et qui finit par céder au quasi harcèlement de la jeune femme.




Avis en demi-teinte donc pour ce récit certes romanesque, mais surtout autobiographique. 

On peut reconnaitre des qualités à l’écriture, on passe sur les quelques erreurs sur l’interprétation de certaines scènes à l’hôpital, l’importance est sans doute le ressenti plus que l’exactitude. 


Au total une lecture qui laissera sans doute peu de traces dans ma mémoire.


216 pages Mercure de France 5 janvier 2023







Je me souviens de la lumière. des montants en ions du lit et du lino gris clair, des murs blancs à la pochette de perfusion transparente se vidant au goutte-à-goutte dans un ronron monotone. De l'immense fenêtre donnant sur le parking. du ciel d'été. 


*


Dans cette Haute-Vienne, toute en courbe et chemin creux, les feuilles mortes s'agitent dans les sous-bois. Au moindre mouvement, j'entends la fugue d'un mulot, les conciliabules des oiseaux, la chute d'une noisette, amortie par sa petite capuche verte, la vie secrète des forêt.

Tout me parle de toi. Ton âme repose sur les hauteurs, là où la pierre est gorgée de soleil.


Jeanne Pham Tran



Jeanne Pham Tran est éditrice et écrivaine. De rage et de lumière est son premier roman 




Un centimètre au-dessus du sol ⭐️⭐️⭐️

 Téo Lacaze












Noé est amoureux. La belle Mia semble prête à le rejoindre. Pour Alex c’est un coup de foudre inattendu : Camille l’a séduit au premier regard. Les quatre doit se retrouver au vernissage que Mia a organisé sous la houlette de son acariâtre directrice. Ils y feront connaissance de Kurt, le juin artiste prodige qui expose, lors d’une soirée aux conséquences bien inattendues, après que la mère de Kurt a ruiné la petite sauterie lors d’un esclandre mémorable.  


Le roman commence assez lentement. C’est l’irruption des deux femmes aussi invivables l’une que l’autre, Astrid la galeriste et Katia la mère de l’artiste que l’intérêt grandi pour l’histoire. D’autant que les événements se précipitent pour la bande d’amis.


A partir de portraits d’une jeunesse ordinaire, Téo Lacaze se moque ouvertement du monde de l’art et de ce qu’il implique en terme de circulation d’argent entre nantis pas forcément les mieux placés pour juger de l’intérêt d’une oeuvre.


Derrière chaque destin, se dessinent des familles plus ou moins dysfonctionnelles et les incontournables secrets dont les conséquences plombent la génération qui les ignore. 


De cet ensemble résulte un roman de facture agréable, malgré un début poussif et une fin un peu décevante. 


352 pages Lattès 11 janvier 2023








Plus tard n'existe nulle part ailleurs, ce n'est ni un pays ni une excuse. Plus tard c'est perdre au présent, supprimer le futur. C'est vivre dans un passé lointain, suspendu au bout des lèvres, c’est oublier des mots, des visages. Plus tard, c'est partir sans dire au revoir*


*


Ils ont exactement la même tête que trois mecs qu'on découvrirait à la porte d'une soirée à laquelle ils savent pertinemment qu'ils ne sont pas invités, dix-sept ans  grand max. Donc ils restent exactement dans l'embrasure de la porte avec un sourire figé, le corps tordu, les yeux un peu à droite à gauche. Ces trois là ont passé leur vie à s’incruster à des soirées où personne ne voulait d’eux






Téo Lacaze, vingt-sept ans, est scénariste et acteur. Un centimètre au-dessus du sol est son premier roman.




Djinns ⭐️⭐️⭐️

Seynabou Sonko 












Autour de Penda, gravitent une cohorte de personnages qui la relient à ses origines. Au quartier, elle vit avec Mami, sa soeur Shango, son presque petit ami Chico et le bruyant Jimmy, hanté par de mauvais djinns. Pour lui venir en aide, selon le point de vue que l’on adopte, c’est soit l’hôpital psychiatrique, dont il ne pourra faire l’impasse, soit  réussir à l’exorciser selon des pratiques ancestrales que Mami connaît. Mais où trouver la racine magique, à Fontainebleau ou en Afrique ?


Porté par la langue vernaculaire des quartiers, ce roman s’apparente à un récit initiatique, avec en filigrane une réflexion sur la religion, le racisme, l’acculturation et la force de l’appartenance à un groupe.


J’ai cependant éprouvé quelques difficultés, surtout dans les premiers chapitres, ne maitrisant pas complètement le lexique. Comme souvent, il suffit de se laisser porter par le récit quitte à passer sur certains expressions qui ne modifieront pas le sens général de l’histoire. 


Premier roman tonique, avec une intrigue à mi chemin entre tradition et modernité. 


180 pages Grasset 11 janvier 2023






Ce genre de phrases toutes faites me met hors de moi, elles portent en elles une vérité difficile à contredire. Qui ne tente rien n'a rien, si tu ne peux pas être le poète, soit le poème, si tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens. La réciproque est vraie. Quand on sait où on va, on n’a pas besoin de regarder d'où l’on vient


*


Le téléphone a sonné dans le salon. J'ai répondu, parce que ma grand-mère, Mami Pirate, disait que si je voulais être une bonne guérisseuse, il fallait commencer par répondre au tél pour prendre les rendez-vous, que je dise bonjour ici le cabinet de Mami Pirate, que puis-je faire pour vous, entre autres. Sauf qu'au téléphone, c'était pas du tout une patiente. Pas du tout. C'était une Madame qui s'est présentée en tant que médecin d'un centre d'accueil permanent au métro Bonne-Nouvelle mais qui n'a pas du tout, mais vraiment pas du tout appelé pour annoncer une bonne nouvelle.




Seynabou Sonko




Seynabou Sonko (Naboo) est une auteure, chanteuse, interprète, compositrice franco-sénégalaise née en 1993, à Paris. Elle a étudié les lettres modernes à Montréal et à Bruxelles.

Un grand bruit de catastrophe ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️ 

 

 Nicolas Delisle-L'heureux











Le prologue met en scène deux personnages centraux de cette histoire : Wendy, simple d’esprit et son frère Willy qui apparaît d’emblée comme le diable incarné. Lorsque Louise se rend compte de la situation, elle organise le départ de Wendy. Ce qui relie les deux femmes sera l’objet du développement du roman. 


Le décor est singulier : Val Grégoire est un lieu déshérité, gouverné de façon oligarchique par un homme qui confond gestion communale et monarchie absolue  de droit divin avec les privilèges que cela implique. Même son épouse ne se fait aucune illusion sur les cornes qui ornent son front. 


Louise, Marco et Laurence sont liés par une profonde amitié. Mais déjà l’infâme Willy sera à l’origine d’un événement qui modifiera la dynamique du trio à tout jamais.


A l’âge adulte alors que Laurence a disparu, et que Marco vit sa vie loin de là en couple mal assorti, Louise fera le chemin pour mettre en lumière ce qui s’est passé des années plus tôt. 



Avec la musicalité de la langue, et l’humour qui traverse les pages, cette histoire dramatique se lit avec un immense plaisir. La force de l’intrigue, la construction, l’ambiance particulière de la communauté isolée de Val Grégoire, qui malgré l’irruption de la modernité semble figée hors du temps, font un ensemble passionnant et difficile à lâcher.


320 pages Les avrils 25 janvier 2023

Sélection prix Orange 2023







Louise avait toujours pressenti que ses parents ne s'étaient pas appesantis de trois enfants par pur bonté d’âme, et l’irrévérence de Val Grégoire, eut tôt fait de lui donner raison : les offices dévotieux des Fowley n'étaient jamais aussi fructueux que lorsque Lydia, Elisabeth et Louise servaient d’appâts inoffensifs.


La 385 avait depuis longtemps était surnommé la gourmande, à cause des appétits voraces qu'on lui connaissait, elle qui bouffait de la chair tant qu'il y en avait, on y laissaient des pieds, des bras et même des cœurs, les jours de grand festin. Elle vous fichait des tournants où il y avait pourtant autrefois eu une longue ligne droite ou lançait , sans avertissement des camions bouffis, de bois un sens inverse de la descente du courbe verticale…Il y eut tant d’accidents qu’on retrouve longtemps des dents et des ongles et des montres et des souliers dans le fossé.


Nicolas Delisle-L`Heureux 

 



Nicolas Delisle-L'Heureux est un romancier canadien né en 1981 et vit à Montréal depuis 2002. 


Un jour, ma fille a disparu de la nuit de mon cerveau ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Stéphanie Kalfon










Une seconde d’inattention aura suffi pour que leur fille disparaisse, au stand de tir de la fête foraine. Une angoisse immense les saisit, et une culpabilité dévorante, eux les parents inattentifs, imprudents. 

Pourtant quelques heures plus tard, l’enfant est retrouvée saine et sauve, et confesse avoir voulu suivre un petit chat aux yeux jaunes, jusqu’à se retrouver perdue dans la forêt puis de trouver refuge dans une cabane de chantier.


Tout va pour le mieux dans le meilleur de monde puisque la petite famille est à nouveau réunie. Et pourtant, le doute s’immisce : pour la mère, cette enfant est un coucou, un sosie, mais en aucun cas la petite fille qu’elle a perdue…




A partir de cette situation particulière, Stéphanie Kalfon construit une histoire inquiétante, puisque relatée du point de vue de la jeune mère, le doute s’immisce parfois : n’aurait-elle pas raison ? Qui est donc cette fillette qui s’efforce de ressembler à la Nina que la mère persiste à rechercher, parfois même avec la complicité de celle ci !

Par ailleurs, le thème sert de support à une analyse fine de ce que représente la relation mère-fille, de ce qu’est le sentiment d’être mère, qui ne s’explique pas par des mots mais par un ressenti. L’autrice évoque un sujet tabou : le fait pour une mère de ne pas aimer ses propres enfants. 

Excellent lecture, questionnante et fort bien construite.


 208 pages Verticales 5 janvier 2023

Sélection Prix orange 2023







La dynamique des familles obéit parfois aux mêmes règles que la physique des couleurs. Leurs complicités reposent sur un circuit de résonances et d'interférences, dans lesquelles nous sommes chacun des vases communicants. Nous nous reflétons les uns les autres, question de regard.


*


Je n'oublierai jamais cette sensation d’alourdissement. L'image noire de la forêt sombre coule goudron dans mon cerveau, ma tête se remplit d'une matière que je ne connais pas, sans lumière. Autour de moi, il y a de la vitesse, mais je me noie dans une lenteur spéciale, comment vous dire… Je suis aspirée par un irrésistible mouvement, vers un intérieur terne où les minutes s’égrènent, gigantesques et dilatées.


Stéphanie Kalfon



Stéphanie Kalfon est une réalisatrice, scénariste française, né en 1979

Les manquants ⭐️⭐️⭐️⭐️

Marie-Eve Lacasse 











Pourquoi Claire n’a t-elle jamais signalé la disparition de son mari ? Pourquoi se livre t-elle sans fard deux ans plus tard, en répondant sans réticence à une convocation officielle de la police ? Les raisons de cette omission feront partie de ce qu’elle livre à l’agent chargé du recueil de ses paroles. Les années jeunesse, l’amour, les enfants mais aussi cette étrange allusion à une communauté dont l’existence se précise peu à peu au cours de la narration. En filigrane de ce discours ordinaire, se profile aussi un décor post apocalyptique fait de violence, de pénurie et de guerre civile, d’autant plus angoissant que banalisé. 


Mais Claire n’est pas la seule à témoigner. Viendra la version de Joan et d’Hélène, les amies fidèles depuis les années d’études. 


Peu à peu l’histoire se construit, celle du couple, celle du groupe et celle du milieu dans lequel ils évoluent. Des certitudes à la décadence, des doutes à l’effondrement. Plus qu’un thriller en quête de la résolution d’une énigme, le roman dresse un constat sur le couple, et sur les aspirations d’une jeunesse dont l’idéalisme volera en éclat quand plus rien ne sera possible. Il révèle aussi l’incommunicabilité et l’illusion de de croire  que l’on peut connaître parfaitement les gens avec qui l’on vit. 


Chronique sociale déguisée en pseudo polar, Les Manquants met le doigt sur les fragilités de ce qui constitue les piliers de notre organisation sociale. 


La fluidité de l’écriture , qui restitue avec beaucoup d’adresse un discours ordinaire, est un des atouts de ce roman original.


Merci à Babelio et aux éditions Seuil


256 pages Seuil 3 mars 2023

Masse critique Babelio







On vit ensemble, mais on ne se connaît pas, il y a dix mille couches auquel on aura pas accès chez l'autre, heureusement d'ailleurs parce que sinon mon Dieu.


*


Les gens qui n'ont rien vécu dans leur vie, vous disent toujours ce qu'il faut faire. Ils ont déjà réfléchi à tous. Ils savent mieux que vous.

Marie-Eve Lacasse

 

Née en 1982, Marie-Eve Lacasse est journaliste reporter à Libération. Les manquants est son sixième roman 

Le roi nu-pieds ⭐️⭐️⭐️⭐️

 François d'Epenoux












Lorsque Niels accepte de venir passer quelques temps dans la maison familiale, on comprend d’emblée les efforts énormes que le narrateur va devoir déployer pour accepter le comportement de son fils. Sale, vêtu de loques, peu enclin aux échanges et accro aux pétards. Seule sa jeune amie trouve grâce aux yeux du père, malgré les choix de vie aussi marginaux que ceux de Niels. Et pourtant les raisons en sont vertueuses, consommation minimaliste, décroissance, protection de la planète . Niels passe d’ailleurs le plus clair de son temps sur la ZAD près de Nantes, là où le projet d’aéroport crée le conflit. Jusqu’où le père pourra t-il accepter la provocation manifeste, au-delà des convictions politiques ? 


François d’Épenoux analyse avec une grande acuité cette relation  conflictuelle, celle d’un père et de son fils mais aussi celle de deux générations qui ont été construites sur des bases bien différentes. Malgré l’amour qui les lie, la confrontation est inéluctable.


Le roman met aussi en évidence la fragilité des acquis et le risque universel de perdre un équilibre somme toute précaire, sur un marché du travail dépourvu d’humanité. 


La vie sur la ZAD prend des allures d’utopie, où l’entraide, la fraternité et la solidarité ne sont pas que des mots. 


Un  roman de lecture agréable , qui soulève des questions existentielles intéressantes, avec parfois un peu d’angélisme, sans que cela ne ruine la cohérence du récit. 



240 pages Anne Carrière 6 janvier 2023







Il n’y a pas d’école de parents. On apprend sur le tas, on fait ce qu’on peut avec ce que l’on a, et puis tout à coup, l’enfant qu’on filmait hier en essuyant sa morve vous dépasse d’une tête, vous répond, vous en veut, vous fait payer vos fautes, ces fautes qui n’en sont pas.


*


Quand tu as une petite vie, écrire peut-être un alibi dangereux. L’alibi des ratés. Ceux qui ont manqué le rendez-vous avec le monde, qui n’ont pas touché sa chair, et qui se trouvent des excuses parce qu'ils se pensent différents, un peu à part. Or s’inventer un monde ne remplace pas le vrai. C'est juste une façon de se dédouaner. Justifier l’injustifiable. De légitimer ses échecs. Et d’essayer d'en faire quelque chose d'honorable : un peu de littérature. Voilà la plus pathétique et consolation que l'on puisse s’inventer.




François d` Epenoux


François d'Épenoux est un écrivain français né en 1963. Il est l’auteur de récits et de romans dont certains ont été adaptés au cinéma (Deux jours à tuer, Les papas du dimanche)



Client mystère ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Mathieu Lauverjat











Ils existent, ces clients mystère et nous le sommes tous plus ou moins à notre échelle lorsqu’au moindre achat nous recevons un demande d’évaluation de notre acquisition. Volonté réelle de fournir des commentaires pour de futurs acquéreurs, ou risque de sanctions pour un service jugé insuffisant ? On ne sait jamais comment sont exploitées ces données.


Toujours est-il qu’après une période  de succès franc en tant que livreur à vélo dans les rues de Lille, le narrateur doit mettre fin à sa carrière à la suite d’un accident. Pour pouvoir s’assurer un minimum de revenus, il tente sa chance en tant que testeur tout azymuth, et le voilà investi de la tâche de tout vérifier, de cocher les cases de conformité, d’évaluer les vices, les objets, les mises en place dans les rayons de supermarché, ou la tenue des contrôleurs SNCF ! Il effectue sans état d’âme ce job qui lui donne un train de vie correct et son zèle lui permet de grimper dans la hiérarchie. Jusqu’à ce qu’un drame remette tout en question. 


Après avoir égratigné le monde de la livraison à domicile de malbouffe, aussi bien côté cyclistes intrépides, pour qui la politesse n’est pas une option afin de recevoir l’indispensable cinq étoiles gage de survie dans le monde du travail, que du côté clients, objets d’un mépris bien masqué, ce sont notre société de consommation et ses nouveaux codes qui deviennent la cible de l’auteur. 


Le processus d’embrigadement et d’assimilation est parfaitement évoqué, et pour notre valeureux testeur, la vie quotidienne est envahie de ses velléités de cotation, même en dehors des missions qui lui sont confiées. Où sont la morale et la compassion dans tout ça ? Derrière ce fonctionnement, se cache bien entendu le profit, et toujours pour les mêmes. 


Le ton est alerte, l’humour ne manque pas pour dénoncer la tyrannie des algorithmes et confère à ces situations tragi-comiques un impression d’authenticité qui contribue à enfoncer un peu plus le clou au coeur de nos comportements habituels.


Très réussi, tant sur la forme que sur le fond, un roman dont on devrait entendre parler. 



240 pages Scribes 12 janvier 2023 





Gueule de bois massive devant le remaniement ministériel et les giboulées précoces de cette année, ma mâchoire dans un étau, ma migraine faucheuse tambourinant à mes tempes : la journée promet d'être longue, d'autant que j'avais deux jours de QCM à rattraper. Alors, c'est sans hésiter que j'ai déclaré l'état d'urgence habituel : j'ai pioché un zoplicone et un lyrica en solution buvable que j'ai touillés dans un double expresso.


*


Pour moi, c'était très simple : mon téléphone bipait, je validais la commande et partait chercher les victuailles.  Après quoi je chargerais le matos dans le sac, géolocalisais la destination et pédalais comme un dératé. À cette époque, si les cheeseburgers rencontraient le plus de succès, j'ai livré aussi beaucoup de pizzas, des wrap végé, des menus sushis ou des pad-thaï.




Mathieu Lauverjat


Mathieu Lauverjat est éditeur et auteur. Client Mystère son premier roman 



.

Thelma ⭐️⭐️⭐️⭐️

Caroline Bouffault 











Tu es cette petite brindille, qui attire les regards, entre fascination et répulsion, depuis que tu as décidé de prendre le contrôle sur ce corps que tu méprises. Les restrictions de plus en plus sévères ont fait de toi cette silhouette fantomatique qui semble cependant animée d’une énergie dévorante. 


Vous les subissez vous aussi, ces regard, accusateurs, quelle mère est-on si l’on n’est pas capable de nourrir son enfant. De la provocation au dépit, les repas familiaux sont devenus des épreuves.


Alors vous, monsieur, un peu débarqué de ce combat, vous allez chercher ailleurs la preuve que vous existez encore.


Le drame familial qu’est l’irruption d’une anorexie mentale, ou d’un quelconque autre trouble du comportement alimentaire est très bien saisi dans ce roman, qui donnera parole aux différents protagonistes, permettant au lecteur de s’immiscer dans l’intimité de chaque personnage. 


Un événement particulier autour duquel se construit l’intrigue permet au récit de se distinguer de ce qui pourrait être un reportage scientifique.


Beaucoup d’humanité, sans jugement, pour ce sujet difficile. Thelma ne peut manquer de séduire nombre de lecteurs.



256 pages Fugue 6 janvier 2023








Elle a fini par se contenter de raconter son quotidien inintéressant d ‘adolescente normale au sein d’une famille de la petite bourgeoisie, parents hétéros, pas divorcés, soeur modèle, ni viol, ni inceste, ni coups, ni homosexualité refoulée.


*



Cécilia a envie de tout plaquer, d’arrêter là. De ne jamais avoir eu d’enfants, de laisser ça aux autres, la maternité, le sens de l’humour, le second degré, entériner une bonne fois pour toutes qu’elle n’a pas signé pour ça.




Caroline Bouffault


Caroline Bouffault a grandi près de Grenoble et vit actuellement à Paris. Après avoir travaillé dans de grandes compagnies internationales, elle a décidé de se consacrer à l'écriture. 


"Thelma" est son premier roman.


Article le plus récent

Claudine à l'école ⭐️⭐️⭐️⭐️

Articles populaires