- Broché : 192 pages
- Editeur : P.O.L (22 août 2019)
- Collection : FICTION
- Existe en version numérique
- Langue : Français
- Roman sombre, superbement écrit, qui invite le lecteur au coeur de ce ghetto qui pourrait s’intituler culpabilité.
Pour l’homme qui a fui la Pologne pour l’Argentine, peu avant que les bruits de botte ne deviennent vacarme, l’exil fut salutaire. Mariage, travail, famille, tout pourrait faire le lit d’une existence, sinon heureuse, du moins paisible. Oui mais voilà, sa mère est restée là-bas, isolée, et, lorsque Vicente sort du silence et répond enfin aux lettres de celle-ci, il est trop tard, le ghetto s’est refermée sur elle.
La charge est trop lourde et les issues trop certaines pour que le chagrin et la culpabilité puissent être mis en mots : Vicente se mure et le mot est choisi à dessein dans un silence mortifère qui l’isole peu peu de ses proches, les punissant eux aussi de ce malheur su lequel ils n’ont aucune marge de manoeuvre.
C’est un travail d’introspection terriblement émouvant et oppressant, un témoignage, qui même s’il n’apporte rien de nouveau pour peu que l’on soit informé de ce qui s’est passé dans ces années noires à Varsovie, met en lumière les souffrances par procuration qu’ont pu subir tous ceux qui avaient des proches pris au piège créé par la folie de quelques-un et l’aveuglement des autres.
Très émouvant et marquant.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Pologne était à peine un pays. Il y avait cinq monnaies différentes, neuf systèmes juridiques, et les multiples disputes frontalières avaient toutes dégénéré en petites guerres : la guerre polono-ukrainienne, la guerre polono-lituanienne et la guerre polono-tchécoslovaque. Comme l’avait prévu Churchill, à peine la guerre des géants s’était achevée, celles des Pygmées avaient commencé.Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Pologne était à peine un pays. Il y avait cinq monnaies différentes, neuf systèmes juridiques, et les multiples disputes frontalières avaient toutes dégénéré en petites guerres : la guerre polono-ukrainienne, la guerre polono-lituanienne et la guerre polono-tchécoslovaque. Comme l’avait prévu Churchill, à peine la guerre des géants s’était achevée, celles des Pygmées avaient commencé.
*
Comment lui raconter maintenant ? Comment lui raconter maintenant alors que je ne lui ai jamais rien raconté pendant toutes ces années ? Pourquoi jusqu’aujourd’hui je n’ai jamais éprouvé le besoin de lui parler de mon passé ? Pourquoi je ne lui ai jamais dit à quel point je me suis senti polonais ? À quel point j’ai voulu être allemand ? Pourquoi je ne lui ai jamais parlé de l’université ? de Varsovie ? de la honte que j’ai éprouvée la première fois où ces étudiants polonais se sont moqués de moi parce que j’étais juif ? Pourquoi je ne lui ai jamais dit que la honte avait été tellement plus forte que la rage ? Et pourquoi, lorsque je lui ai dit que je voulais sauver ma famille, lorsque je lui ai dit que je voulais gagner assez d’argent pour que ma mère et mon frère et ma sœur puissent fuir la Pologne et venir vivre à Buenos Aires avec nous, pourquoi, même à ce moment-là, je ne lui ai pas dit de quoi je voulais qu’ils fuient ?
*
Un dimanche inutile, un dimanche en vain, un dimanche qui précède un lundi tout aussi vain, tout aussi inutile. Un dimanche. Deux dimanches. Trois dimanches. Un dimanche pour compter les dimanches. Comme si les jours et les semaines pouvaient encore avoir de l’importance. » La vie de Vicente Rosenberg, comme tant de vies, comme celles de plusieurs millions de Juifs, de centaines de milliers de Tsiganes et de dizaines de milliers de communistes qui avaient perdu ou qui allaient perdre leurs proches dans les camps, – sa vie, comme celles de tous ces autres êtres perdus de par le monde, se poursuivait.
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