Pour écrire un conte, la recette est intemporelle. Un décor, une masure, une forêt dense et inquiétante, et un élément qui va relier ces éléments au reste du monde, le plus souvent porteur de malheur. Ici c’est une ligne de chemin de fer, sur laquelle passe un train, qui transporte des marchandises. Il faut peu de pages pour comprendre de quel type de marchandises il s’agit.
Et puis il faut des personnages, le couple qui loge dans la masure, pauvre, sans enfant, au grand regret de l’épouse.
Il faut des méchants, des êtres maléfiques, traquant l’ennemi désigné. L’Autre, le différent selon des codes réinventés à l’envie, le « sans-coeur » , pointé du doigt par la vindicte populaire, comme responsable de tous les maux du monde.
Le hasard, la chance qui exauce les veux de la femme, n’est jamais sans conséquence, dans un conte. Pour tout cadeau du ciel il y a un prix à payer.
D’autres personnages, des gentils qui se font passer pour méchants, des méchants qu’il faut éviter de croire quand ils prétendent agir pour le bien de tous, entreront sur la scène de l’histoire.
C’est une bien poétique façon de conter une fois de plus l’horreur de cette tranche de notre Histoire, pas la première, et sans doute pas la dernière, tant la nature humaine est prévisible et imparfaite.
Pas de suspens dans le déroulement de la narration, on connait les faits, mais il en est ainsi pour tous les contes, qu’ils parlent d’un royaume lointain, isolé , inaccessible ou d’un conflit qui oppose les grands de ce monde, forts de la main d’oeuvre sans qu’ils envoient en leur nom au casse pipe.
La question primordiale est abordée à la fin : histoire vraie ou pas? C’est par une pirouette que l’auteur répond, en écrivant peut-être le plus beau passage du récit .
C’est vite lu, mais sans doute assez fort pour laisser une trace durable dans une mémoire de lecteur.
Les jours succédèrent aux jours, les trains aux trains. Dans leurs wagons plombés, agonisait l'humanité. et l'humanité faisait semblant. de l'ignorer. Les trains provenant de toutes les capitales du continent conquis passaient et repassaient, mais pauvre bucheronne ne les voyait plus.
*
Elle dort notre pauvre bucheronne, elle dort, son bébé bien serré dans ses bras, elle repose du sommeil des justes, elle dort là-haut, bien plus haut que le paradis des pauvres bucherons et des pauvres bucheronnes, bien plus haut encore que l'Eden des heureux de ce monde, elle dort tout là-haut là-haut, dans le jardin réservé aux dieux et aux mères.
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