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Là où chantent les écrevisses

Delia Owens








  • Broché : 480 pages
  • Editeur : Le Seuil (2 janvier 2020)
  • Collection : Romans étrangers (H.C.)
  • Langue : Français
  • Traduction (Anglais) : Marc Amfreville











Quel plaisir de tourner les pages en compagnie de Kya, la fille des marais, la laissée pour compte, trahie, abandonnée par tous ceux qui lui sont chers!

Le père est si violent que sa mère fuit la maison qui aurait été fatale, et les frères et soeurs ne tardent pas à s’éloigner eux aussi, laissant la fillette en compagnie de cet homme si peu fiable. Jusqu’à ce qu’il disparaisse lui aussi. 

Kya n’a pas une nature à se laisser dépérir, et organise sa survie, aidée par la présence et le soutien discret, de Mabel et Jumping, qui tiennent la station service en bordure du marais. C’est dans la masure qui servait de logement à la famille, dans un décor minimaliste, qu’elle observe, son environnement, incollable sur les oiseaux, les herbes les coquillages , elle qui ne sait pas lire. 

Les années passent, Kya grandit,  et Tate, l’ami de toujours parvient à l’apprivoiser, et lui apporte une aide fondamentale, en lui apprenant la lecture. 

Le roman, clairement inscrit dans le mouvement de nature-writing, s’apparente également à ces romans très américains qui racontent la destinée étonnante de personnages voués par leurs origines ou leur histoire familiale à une survie précaire et qui malgré tout s’en sortent avec les honneurs. C’est ici ce qui rend l’héroïne si sympathique, et crée le manque lorsque l’on doit la quitter.

Pour renforcer l’addiction et éviter que le récit se borne à des mièvreries, un meurtre vient pimenter l’histoire. Et parallèlement aux années qui passent dans le marais, l’enquête sur la mort de Chase Andrews focalise le récit sur une courte période  de l’année 1970. 


Très bon roman, un grand plaisir, tant pour l’empathie que suscite Kya que pour le séjour au coeur de ce marais grouillant de vie. 



Un marais n’est pas un marécage. Le marais, c’est un espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel. Des ruisseaux paresseux charrient le disque du soleil jusqu’à la mer, et des échassiers s’en envolent avec une grâce inattendue – comme s’ils n’étaient pas faits pour rejoindre les airs – dans le vacarme d’un millier d’oies des neiges.
Puis, à l’intérieur du marais, çà et là, de vrais marécages se forment dans les tourbières peu profondes, enfouis dans la chaleur moite des forêts. Parce qu’elle a absorbé toute la lumière dans sa gorge fangeuse, l’eau des marécages est sombre et stagnante. Même l’activité des vers de terre paraît moins nocturne dans ces lieux reculés. On entend quelques bruits, bien sûr, mais comparé au marais, le marécage est silencieux parce que c’est au cœur des cellules que se produit le travail de désagrégation. La vie se décompose, elle se putréfie, et elle redevient humus : une saisissante tourbière de mort qui engendre la vie.

*

Toute une rangée de fenêtres, encadrées par des volets pare-tempête, formait la devanture du Barkley Cove Diner qui dominait le port. Seule l’étroite rue séparait cette construction, qui remontait à 1889, des marches détrempées de la jetée. Des paniers à crevettes au rebut et des filets de pêche entassés bordaient le mur sous les fenêtres, et çà et là, des coquilles de mollusques jonchaient le trottoir. Partout, les cris des oiseaux de mer et leurs déjections. Heureusement, la bonne odeur des saucisses et des biscuits, des fanes de navets bouillies et du poulet frit couvrait les remugles des barriques à poisson qui s’alignaient sur le port.


*

Grande-blonde-maigrichonne, Queue-de-cheval-à-taches-de-rousseur, Éternel-collier-de-perles et Petite-boulotte-à-grosses-joues caracolaient sur la plage, et ne cessaient de s’esclaffer en tombant dans les bras les unes des autres. Lors de ses rares excursions au bourg, elle avait entendu leurs moqueries. « Ah oui, la Fille des marais achète ses vêtements chez les gens de couleur ; elle est obligée d’échanger les moules qu’elle pêche contre du gruau de maïs. »














Delia Owens est une écrivaine et une zoologiste américaine. Là où chantent les écrevisses est son premier roman.

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