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Soeur

Abel Quentin








  • Broché : 256 pages
  • Editeur : L'OBSERVATOIRE (21 août 2019)
  • Collection : FICTION
  • Existe en version numérique
  • Langue : Français







Lorsque l’on fait connaissance avec Jenny, une ado mal dans sa peau (si c’est quasiment un pléonasme, la jeune fille est quand même en grande souffrance, harcelée par ses pairs, et en rupture avec sa famille qu’elle exècre), et parallèlement avec deux personnages illustres de notre paysage politique, que l’on reconnait d’ailleurs malgré des noms d’emprunts, grâce aux portraits que l’auteur en dresse, on ne s’attend pas, du moins au début à l’issue qui les fera se rencontrer.

Une fois le cadre en place, on assiste à la transformation de la jeune fille, prise dans les mailles d’un piège qui lui apparaît comme la seule solution pour pouvoir cracher sa haine, son mépris de tout ce qui a fait d’elle cette paria, moche et sans intérêt. Ils sont adroits deux qui tirent les ficelles, et construisent une image fausse, mais acceptable, utile, reconnue, par des pairs opportunistes. Même si vu de l’extérieur, elle est bien peu crédible cette passionaria d’un islam dont elle ne connait rien, même après avoir assimilé comme un perroquet quelques hadiths marquants. Mais ça marche pour elle. Au grand désespoir de ses parents, bourgeoisie moyenne, traditionnelle, valeurs communes et mouvantes. 

On ne parle pas ici de la radicalisation, l’auteur le précise. La jeune fille n’était pas pratiquante ou croyante islamiste, et elle entrée dedans  directement par la porte de l’excès. Le mécanisme est celui d’une récupération sectaire d’êtres en détresse et en rupture avec les repères qu’on a pu leur inculquer jusqu’alors. Toute autre secte aurait pu faire l’affaire et aboutir aux mêmes résultats délétères de dépersonnalisation. 

Certes l’histoire ne prête pas à rire. cependant l’auteur accentue le côté verre à moitié vide et pointe chez les personnages tout ce qui peut être tourné en dérision. Et pas que pour les personnages. Un passage illustre très bien cette volonté de se focaliser sur le négatif : deux paragraphes se suivent, décrivant le cadre de la petite ville où vit la famille Marchand, le premier proposant une illustration de carte postale de candidature pour le plus beau village de France et le deuxième focalisé sur toute la laideur et la platitude de l’endroit.



Récit bien mené, assez convaincant, et bien ancré dans notre paysage social actuel .





Jenny est seule. Pas de justice immanente, ni de vengeur masqué. Sur ses posters grand format, Harry Potter est  trop occupé à tenir sa pause héroïque, petit merdeux infatué, droit dans sa morgue de diplômés d’Eton. Au fond, il appartient à la même engeance que Marc Zuckerberg, celle des enfants gâtés du système.

*

Il pose un silence, laisse infuser ses mots. La Terre s'est arrêtée de tourner, 12 000 personnes sont en apnée il se jette dans le vide avec volupté : « il y a une culture majoritaire dans ce pays il entend le rester ! » Une clameur gigantesque lui répond. La foule applaudit au sacrilège. Il a osé. Il a rompu le corsetant pacte républicain, il a fait péter les digues, il a délivré tout le peuple de sa mauvaise conscience et cette clameur est pure exultation, celle que procure l'impunité, celle d'une foule d’émeutiers qui prend conscience de ses forces et entreprend de piller les magasins,  il a dit ces mots putain, il n’est pas comme les autres, il pense comme nous, il vient de nos rangs obscurs, nous réhabilite, il nous aime, et les chapeaux à plumes mangent leur chapeau à plume  au premier rang, otages des applaudissements qui roulent comme le tonnerre effrayé par le pouvoir des mots qu'ils ont pris tant de soin à émasculer, à vider de leur pulpe, à désamorcer de tout ce qu’ils  pouvaient receler  de vivant. La foule boit les mots chargés comme des cocktails Molotov,  elle  ne revient pas de les entendre résonner en pleine lumière, légitimer par la lumière, sur l'estrade des puissants, articulés sans détour par cet homme singulier, si différent du Vieux et des autres, de toute la clique des chefs à plume satisfaits et hautains, démocrates infatués  qui rougissent de leurs électeurs trop crottés, pas assez chics, sans cesse à  la traine de l’Histoire, embourbés  dans leurs territoires antédiluviens  et puants, macérant danseurs haines recuites.









Abel Quentin
est avocat à Paris "habitué à représenter des jeunes gens radicalisés". Originaire de Lyon, il se passionne depuis toujours pour la littérature. 

Soeur est son premier roman.

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