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Grand frère

Mahir Guven








  • Broché : 271 pages
  • Editeur : Philippe Rey (5 octobre 2017)
  • Collection : Roman français
  • Existe en version numérique
  • Langue : Français









La langue est séduisante mais elle ne fait pas tout.

 Le portrait de ces deux frères est saisissant. Grand frère, le principal narrateur s’accommode de ses identités multiples, pratiquant le grand écart de la Bretagne à la Syrie, et prompt à mettre le focus sur ce qui arrange son interlocuteur. Pour lui, la vie, c’est conduire les gens, dans son Uber, au grand dam de son père qui se demande bien comment il va négocier sa licence de taxi, celle qui devait lui assurer une retraite confortable. 

Au-delà des anecdotes du quotidien, Grand frère porte un fardeau qui le ronge, et ce fardeau c’est   Petit frère, parti pour faire de l’humanitaire sur la terre de ces ancêtres, malgré la période qui n’est pas propice à ce genre d’initiative. Que raconter au flic qui le protège, lorsqu’il pense avoir aperçu Petit frère à la gare?

Le récit de la confidence tourne au thriller et on dévore les pages sans répit. Ecrit dans la langue des banlieues, mélange de verlan, d’argot, et d’arabe, c’est tout simplement scotchant. Le lexique proposé peut aider mais n’est pas indispensable tant on est emporté malgré soi dans le flot de la narration (et il ne faut pas dix pages pour comprendre ce qu’est un splif!).


Très belle découverte, avec cette histoire de fraternité indestructible, au coeur d’un récit ancré sur les dérives de notre monde du vingt-et-unième siècle.





Il vivait avec un bracelet électronique autour de la cheville parce que les prisons étaient pleines et que le juge considérait qu'il n'était pas "dangereux pour la société". Et ce n'était pas faux, son seul tort, c'était d'avoir transporté de l'herbe . On peut juger que c'est mal , mais la vérité, c'est que d'autres transportent des armes, de l'alcool, du tabac, des antidépresseurs, du Coca-Cola, et ça aussi ça brule autant l'humanité.

*

La seule vérité, c’est la mort. Le reste n’est qu’une liste de détails. Quoi qu’il vous arrive dans la vie, toutes les routes mènent à la tombe. Une fois que le constat est fait, faut juste se trouver une raison de vivre. La vie ? J’ai appris à la tutoyer en m’approchant de la mort. Je flirte avec l’une en pensant à l’autre. Tout le temps, depuis que l’autre chien, mon sang, ma chair, mon frère, est parti loin, là-bas, sur la terre des fous et des cinglés. Là où, pour une cigarette grillée, on te sabre la tête. En Terre sainte. Dans le quartier, on dit « au Cham ». Beaucoup prononcent le mot avec crainte. D’autres – enfin quelques-uns – en parlent avec extase. Dans le monde des gens normaux, on dit « en Syrie », d’une voix étouffée et le regard grave, comme si on parlait de l’enfer.

*

Moi, la vérité, je serais les types d’Uber, j’aurais fermé ma gueule. Plutôt que de la ramener, du genre : « Les taxis, vous êtes des bouffons. » Ils font les malins derrière leurs bureaux, zarma Silicon Valley, look faussement négligé, petit jean usé mais en fait tout neuf, tee-shirt avec des délires que personne ne connaît, petite barbe genre bûcheron mais sans les muscles ni les cojones, et esprit rebelle façon « on est contre les règles et tout », mais rien que les taxis débarquent, ils leur niqueraient leur mère fissa. Parce que les taxis, ils s’en battent la race, c’est des mecs de la rue, aigris, usés par la life. Onze heures par jour dans la carlingue à guetter le client, ça rend un homme fou, ça.



Mahir Guven est né sans nationalité, de mère turque et de père kurde réfugiés en France, et apatrides. 
Il a donc attendu ses 10 ans pour avoir une identité nationale. Turque d’abord, française ensuite, à l’âge de 13 ans. 
Après des études de droit et d'économie, et une expérience dans le monde du conseil, il rejoint l'équipe du journal "Le 1" avant son lancement. Aujourd’hui, il est directeur exécutif de l’hebdomadaire.

Grand Frère est son premier roman











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