- Broché: 512 pages
- Editeur : Gallimard (12 avril 2018)
- Collection : Blanche
- Existe en version numérique
- Langue : Français
De l’intime à l’universel, car ce récit bouleversant nous ramène à notre fragilité , filigrane qui se laisse oublier si souvent dans le tourbillon de nos occupations aussi indispensables que dérisoires.
Les attentats nous ont tous atteints, par leur injustice, par la profonde débilité d’exécuteurs sous influence, par ces vies brisées pour rien.
Philippe Lançon, c’est Libé, c’est Charlie, c’est une carrière brillante, et un talent d’écrivain, maintes fois attestés par de prestigieuses récompenses.
C’est aussi un matin de janvier, de ceux pour lesquels on se souvient de ce que nous étions en train de faire. Les jambes noires sont venues accomplir leur tâche morbide, nous privant à jamais d’une bande de trouble-fêtes particulièrement nécessaires dans une société toujours plus bâillonnée.
Le propos n’est pas le pardon, ou l’absence de pardon. C’est une magnanimité ou une rancoeur inutiles. De ces ombres massacrantes, ne subsistent des cauchemars et des angoisses lorsque la configuration des lieux rend l’irruption possible. C’est le parcours d’un survivant, miraculé, mais ô combien atteint dans sa chair et dans son esprit. Trois mois de supplices pour la bonne cause dans un service de stomatologie qui doit inventer pour reconstruire ces plaies de guerre, là où la routine rafistole les séquelles des cancers. Le doublement patient subit de nombreuses interventions, dans un univers qui lui deviendra familier et dont il adoptera jusqu’au lexique, et constate l’impact de ce drame sur sa place et son rôle que ce soit dans une sphère privée ou professionnelle. Au-delà du journaliste reconnu, c’est en tant que victime que l’on s’adresse à lui.
C’est l’occasion d’une vibrant hommage aux équipes hospitalières, dont il saisit les limites humaines et celles que créent les restrictions budgétaires. Mais jamais malgré la douleur, la dépendance , les échecs, jamais il n’y aura d’hostilité dans les propos. Au contraire.
Le propos est dramatique, mais le ton général est loin d’être plaintif. Il s’agit avant tout de se reconstruire, au propre comme au figuré, sans s’éterniser sur un passé qui de toute façon ne demande pas la permission pour surgir au moment le plus inopportun, ni de se projeter dans un avenir incertain. Chaque jour se nourrit de ses échecs ou s’illumine de ses succès.
Deux alliés fondamentaux accompagnent Philippe Lançon de la chambre au bloc , en passant par les couloirs : Bach et la littérature, restreinte essentiellement à Proust, et Kafka :
« Bach et Kafka : l’un m’apportait la paix et l’autre une forme de modestie et de soumission ironique à l’angoisse. »
Lecture indispensable.
La plupart des entretiens des écrivains et des artistes sont inutiles. Ils ne font que paraphraser l'oeuvre qui les suscite. Ils alimentent le bruit publicitaire et social.
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J'ai senti de nouveau, mais avec une force inédite, qu'on mourait un nombre incalculable de fois dans une vie, des petites morts qui nous laissaient là, debout, pétrifiés, survivants, comme Robinson sur l'île qu'il n'a pas choisie, avec nos souvenirs pour bricoler la suite et nul Vendredi pour nous aider à la cultiver.
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J'ai cessé de tenir un journal quand j'ai compris que je ne me rendais plus compte de ce qui disparaissait. A quoi bon fixer des instants dont les traces elles-même ne signifient plus rien?
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L'attentat s'infiltre dans les coeurs qu'il a mordus, mais on ne l'apprivoise pas. Il irradie autour des victimes par cercles concentriques et, dans des atmosphères souvent pathétiques, il les multiplie. Il contamine ce qu'il n'a pas détruit en soulignant d'un stylo net et sanglant les faiblesses secrètes qui nous unissent et qu'on ne voyait pas.
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Je n'avais pas été un bien grand journaliste, sans doute par manque d'audace, de ténacité et de passion pour l'actualité, mais peut-être étais-je en train de devenir, ici, une sorte de livre ouvert : aux autres, et pour les autres
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