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La bête humaine

Emile Zola












  • Poche : 544 pages

    • Editeur : Pocket (23 septembre 2009)
    • Collection : Classiques
    • Existe en version numérique (Bibebooks)












    C’est du noir, celui de la suie qui se déposait sur les visages des conducteurs, et celui des âmes. Car le nombre de personnages animés d’une volonté de meurtres atteint des sommets dans ce dix-septième tome de la série des Rougon-Macquart.

    On était pourtant satisfait de retrouver Jacques, l’un des fils de Gervaise, parti jeune du foyer familial à la dérive pour se préparer un avenir décent. Et voilà qu’on le retrouve hanté par une pulsion de massacre au couteau, dirigée surtout vers  les jeunes femmes, (mais tout autre être vivant pourrait faire l’affaire!), et maudissant l’héritage épigénétique de ses ancêtres.  

    On y cotoîe aussi un empoisonneur. Un homme mourra sauvagement poignardé dans l’express qui relie Paris au Havre. L’enquête qui suivra ce meurtre fait de ce roman un polar avant l’heure. Décidément cette série est absolument exhaustive en matière de littérature!

    Alors qui est-elle cette bête humaine? L’un des tueurs? Ceux qui poussent leur entourage au crime? Ou bien cette machine qui traverse la campagne à la vitesse démesurée de quatre-vingt kilomètres par heure? Un monstre rugissant, que l’auteur décrit comme une femme, et que Jacques Lantier entretient comme une maitresse aimée. 


    C’est aussi la critique d’une justice muselée par le souci d’épargner les puissants, ceux qui ont dans leurs mains le pouvoir de faire et défaire des carrières et de faire plonger avec eux des victimes collatérales pas vraiment innocentes. Le risque du scandale est trop important pour ne pas profiter de l’aubaine d’un parfait candidat à la culpabilité pour endosser la responsabilité du forfait. Mais les temps ont-ils vraiment changé?

    Construit comme un thriller, c’est l’un des plus toniques de la série. Une fois de plus, Zola ne nous donne pas l’opportunité de nous réconcilier avec l’espèce humaine, de plus en plus dégénérée . 

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    Pendant un instant, Roubaud s’intéressa, comparant, songeant à sa gare du Havre. Chaque fois qu’il venait de la sorte passer un jour à Paris, et qu’il descendait chez la mère Victoire, le métier le reprenait. Sous la marquise des grandes lignes, l’arrivée d’un train de Mantes avait animé les quais ; et il suivit des yeux la machine de manœuvre, une petite machine-tender, aux trois roues basses et couplées, qui commençait le débranchement du train, alerte besogneuse, emmenant, refoulant les wagons sur les voies de remisage. Une autre machine, puissante celle-là, une machine d’express, aux deux grandes roues dévorantes, stationnait seule, lâchait par sa cheminée une grosse fumée noire, montant droit, très lente dans l’air calme. Mais toute son attention fut prise par le train de trois heures vingt-cinq, à destination de Caen, empli déjà de ses voyageurs, et qui attendait sa machine. Il n’apercevait pas celle-ci, arrêtée au delà du pont de l’Europe ; il l’entendait seulement demander la voie, à légers coups de sifflet pressés, en personne que l’impatience gagne. Un ordre fut crié, elle répondit par un coup bref qu’elle avait compris. Puis, avant la mise en marche, il y eut un silence, les purgeurs furent ouverts, la vapeur siffla au ras du sol, en un jet assourdissant. Et il vit alors déborder du pont cette blancheur qui foisonnait, tourbillonnante comme un duvet de neige, envolée à travers les charpentes de fer. Tout un coin de l’espace en était blanchi, tandis que les fumées accrues de l’autre machine élargissaient leur voile noir. Derrière, s’étouffaient des sons prolongés de trompe, des cris de commandement, des secousses de plaques tournantes. Une déchirure se produisit, il distingua, au fond, un train de Versailles et un train d’Auteuil, l’un montant, l’autre descendant, qui se croisaient.

    *

    Et, c’était vrai, il l’aimait d’amour, sa machine, depuis quatre ans qu’il la conduisait. Il en avait mené d’autres, des dociles et des rétives, des courageuses et des fainéantes ; il n’ignorait point que chacune avait son caractère, que beaucoup ne valaient pas grand’chose, comme on dit des femmes de chair et d’os ; de sorte que, s’il l’aimait celle-là, c’était en vérité qu’elle avait des qualités rares de brave femme. Elle était douce, obéissante, facile au démarrage, d’une marche régulière et continue, grâce à sa bonne vaporisation. On prétendait bien que, si elle démarrait avec tant d’aisance, cela provenait de l’excellent bandage des roues et surtout du réglage parfait des tiroirs ; de même que, si elle vaporisait beaucoup avec peu de combustible, on mettait cela sur le compte de la qualité du cuivre des tubes et de la disposition heureuse de la chaudière. Mais lui savait qu’il y avait autre chose, car d’autres machines, identiquement construites, montées avec le même soin, ne montraient aucune de ses qualités. Il y avait l’âme, le mystère de la fabrication, ce quelque chose que le hasard du martelage ajoute au métal, que le tour de main de l’ouvrier monteur donne aux pièces : la personnalité de la machine, la vie.




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