Anne-France Larivière
- Éditeur : Nouvelles éditions de l'Aube (6 mai 2021)
- Langue : Français
- Broché : 278 pages
Au coeur du récit, l’Entreprise dans toute sa splendeur. Qui ne nécessite même pas de talent comique pour que l’on sourit, ou qu’on en pleure. Il suffit de lire les tête de chapitre qui restituent les messages quotidiens adressés aux employés pour s’en convaincre.
Et derrière ces parois de verre au quadruple vitrage, échouée là par nécessité, la narratrice, Louise, qui voudrait chanter, et non jouer à Rodéo, sur son ordi qui semble configuré dans une langue étrangère.
Et puis l’omerta qui clôt les conversations dès qu'elle évoque son prédécesseur, qui s’est jeté du toit.
On comprend donc que ce n’est pas par choix que la jeune femme a accepté de s’enfermer jour après jour dans ce temple de la bêtise, à la merci des petits dictateurs hiérarchiques et des inconséquences des chefs suprêmes, des «élus » et surtout d’une élue qui mène ses administrés à la baguette, au rythme de ses caprices et en fonction de sa capacité à tenir l’alcool. Mais l’inconséquence de sa mère l’a endettée et le choix n’est pas possible.
Une belle critique du monde de l’entreprise et des ses absurdités, de son langage aussi complexe que vide et de son inhumanité que ne compense pas les pseudos pots d’arrivée (ne pas oublier de reprendre les non consommés) et les journées corporate.
En fil rouge une tentative d’utiliser les failles du système pour se sortir de cette galère, et qui crée le suspense accrocheur.
Premier roman réussi.
Devant moi, l’immeuble se dresse, impressionnant et, levant les yeux, je suis saisie d’un léger vertige.
La façade de verre reflète le boulevard et ses vieux bâtiments décrépis bordés de marronniers malades. Dans l’air brûlant flottent d’invisibles particules fines que j’aspire profondément avant d’en franchir le seuil ; sous le tissu léger du chemisier trouvé au fond de la garde-robe de ma mère, mon cœur inquiet bat, rapide.
L’hôtesse d’accueil, chignon tiré sur une mine revêche, me donne en échange de ma carte d’identité un badge temporaire, puis m’indique d’un geste las la direction des ascenseurs. Leurs portes se referment, l’engin nous le précise d’une voix métallique émanant d’une des parois joliment marbrées de plastique en trompe-l’œil. Je m’élève vers le quatorzième étage, aile D, dans le prolongement de la bretelle du périphérique, sortie Sud ; confusément, me vient l’idée que je ne vais pas être à ma place ici.
Sylvie m’explique à moi la novice, les choses de la vie :
« Notre boulot, c’est de faire des délib’ et d’avaler des couleuvres, c’est tout. Finalement, le poste sur la démo’ et les territoires, c’est pas si mal… Au moins, t’as pas des dossiers à instruire à la pelle. »
J’ai demandé qui était sur ce poste et ils m’ont regardée, ahuris :
« Mais c’est toi la titulaire du poste, Louise ! »
*
« Assieds-toi, Louise. Tu es prête ? Bien. On commence ? Ta famille professionnelle est la Politique d’Attractivité. Ta mission globale, assister au développement des actions dans le cadre des politiques publiques de ton domaine d’intervention. Tes missions : la conception et la réalisation d’un projet. Tu es d’accord ? Bien. Pour ce faire, tu dois : 1. Définir des plans d’action ; 2. Mobiliser les expertises nécessaires à la réalisation du projet ; 3. Identifier les axes d’analyse et les indicateurs d’évaluation du projet ; 4. Instruire les demandes de subventions ; 5. Accompagner les structures et les porteurs de projet ; 6… »
Ses lèvres fines bougent mais aucun son n’en sort. Je n’entends que le pépiement des oiseaux, le sifflement du vent, le ronronnement de la ville ; en moi, la musique a repris son cours. Fais le bilan de mes objectifs ou des activités du poste, fais. Pendant ce temps perdu, sur un nuage, je flotte. Tu ne perds rien pour attendre, tu vas voir si je ne suis pas efficace quand je veux, abruti.
Anne-France Larivière vit et travaille à Lille. Sa propre expérience dans une grande administration lui a inspiré cette histoire pleine d'humanité, cynique et drôle. L'expérience du vide est son premier roman. (Source : Babelio)
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