Emilienne Malfatto
Dans un décor intemporel et et un espace indéterminé, le seul repère est la grisaille, celle qui signe la destruction, le chaos issu d’une volonté humaine d’anéantir pour s’approprier. Au coeur de cet univers, un homme qui ne dort pas, qui ne dort plus, qui ne peut plus lâcher prise, tant ses actions de « spécialiste » lui ont interdit à jamais de trouver le repos, de mettre à distance ce qui revient de sa mission.
Ce court texte est terriblement poignant. L’absence de référence à un épisode précis dont l’histoire nous a laissé de nombreux témoignages, augmente la portée des mots, et fait accéder le récit à une dimension universelle.
Autour de lui, le général perdu dans une partie d’échec sans fin, et le planton focalisé sur son rôle précis n’ont sans doute pas ouvert la brèche qui laisse passer les remords er les questions qui perturbent. Maillons d’une hiérarchie qui dilue pour occulter la réalité de la guerre.
Avec une écriture très élégante, qui confine à la poésie, Émilienne Malfatto nous offre une fable universelle sur la culpabilité et la responsabilité, et un constat sans appel sur le cataclysme que représente un conflit où l’humain perd toute signification pour n’être qu’un outil à torturer ou détruire en fonction de son utilité.
Ces pages désincarnées sont très impressionnantes de profondeur et sensibilité.
112 pages Editions du sous-sol 19 Août 2022
La section spéciale occupe tout le sous-sol d'un immeuble du quartier des tanneurs, sur la rive gauche du grand fleuve, celle où il y a encore des bâtiments debout. Un sous-sol, c'est pratique en cas de bombardement, même si chaque matin le colonel ne peut s'empêcher de penser que c'est un coup à rester enterrés vivant sous les décombres de cinq étages.
*
Vous me direz
Il faut bien distinguer
Entre tuer à la guerre
Tuer pour tuer
C'est en tout cas ce qu'on nous disait à l'époque
Les morts de guerre ne sont pas des crimes
Soldats,
Nous disait-on
Puisque vous avez tué pour une cause noble
Pour la défense de la Nation
Pour la victoire
Et dans leur voix tu sentais la majuscule
Alors que la vie n'en prenait pas
*
Il est dans la pièce aux bassines d'argent, derrière le grand bureau d'acajou, le général se recouche en silence sur le lit de camp, s’étend face au mur, tournant le dos au visiteur qui vient de sortir et qu'il n'a peut-être pas vu. Sous la couverture brune, il frissonne à chaque fois qu'une lourde goutte grise, ploc, tombe sur sa tête.
Émilienne Malfatto est une autrice, photojournaliste et photographe documentaire indépendante française, née en 1987
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