Philippe Claudel
Premier coup de coeur de cette rentrée d’hiver !
Dans une ambiance d’emblée sombre, où l’inconfort est le lot du quotidien, le froid, l’obscurité, et la menace permanente d’un danger possible, à une époque et dans un lieu que l’on situera progressivement au fil des indices semés dans le texte, l’Adjoint officie auprès de son supérieur, dans une petite ville où les faits graves sont rares. Or, le Curé vient d’être découvert mort dans la rue, et l’observation même rapide de la victime allongée au sol ne laisse planer aucun doute sur la nature criminelle du décès du prêtre. Le crime en lui-même est odieux mais de plus il met en place les conditions d’un conflit social aux conséquences potentiellement graves, dans cette communauté où chrétiens et musulmans cohabitent avec prudence.
Les personnages sont particulièrement bien campés : celui du Policier, ambigu, tour à tour figure de la stabilité et de la rigueur puis moins fiable lorsqu’on découvre les démons qui l’obsèdent, et même carriériste et prêt à vendre son âme pour une promotion. Tout cela en fait un être qui suscite toute une palette de sentiments évolutifs. L’Adjoint est beaucoup plus constant dans son comportement, mais ne serait-il pas plus malin que ne le laisse penser le mépris de son supérieur.
Et puis la figure lumineuse de la jeune Lémia, qui a découvert le corps, vient à la fois illuminer les pages et susciter des craintes pour sa sécurité.
D’emblée dès les premières lignes, on est saisi par la force de la narration, à la fois par la façon dont le décor est planté et l’intensité des personnages. On est bien sûr happé par l’intrigue autour de la mort du curé et des conséquence prévisibles mais en filigrane le contexte politique et religieux est passionnant. Ce polar historique à haute valeur littéraire est porté par une écriture sublime, qui rend l’oeuvre très addictive.
Jamais déçue par les précédents romans de Philippe Claudel, celui-ci risque fort de figurer en tête de mon classement personnel, jusqu’au prochain ?
352 pages Stock 4 janvier 2023
#Crépuscule #NetGalleyFrance
Le Curé mort pesait lourd. Le monde est plein de gros sacs de pierres, et la vie à mesure qu'elle passe prend une allure de charroi grinçant, encombré de trop de corps et d’âme perdues.
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Un vieux monde s’affaissait, dans un sommeil épais, et s’enroulait dans sa léthargie, comme un escargot, fainéant baille dans sa coquille, en faisant reluire de bave ses souvenirs de vermeil oxydé.
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Choisir les mots adéquats, les lier, composer des phrases parfaites, lui faisait oublier aussi qu'il était le père de quatre marmots, et d'un cinquième qui s'impatientait dans le ventre, tendu de sa femme, un, de plus, qu'il faudrait nourrir, moucher, torcher, supporter, éduquer plus tard.
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Qu'on s'imagine, prosaïquement, une canalisation de diamètre plus grand que la moyenne, mais obstruée, de matières sales, plus ou moins compactes, et qui empêche l'écoulement normal d'une eau claire, et on aura une image exacte du fonctionnement de la pensée de Nourio.
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Car les grands incendies ne sont à leur départ que mousses et étincelles. Pour parvenir à des millions de morts, et à l'effondrement d’antiques civilisations, il faut un premier mort, puis un deuxième, puis un troisième, ainsi de suite. Tous les débuts sont modestes.
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Le monde est une étrange étable, dans laquelle des vaches mâchent, une succulente paille, ruminent, dorment, vêlent , allaitent, tandis qu’à leur côté, sans qu'elles les regardent, ou s’en soucient, d'autres vaches agonisent, couvertes de mouches en tirant une langue noire et en recevant cent coups de bâtons.
Né en 1962, Philippe Claudel est un écrivain et réalisateur français. En 212 il intègre l'Académie Goncourt
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