Au Louvre, une petite révolution est en marche ! L’oeuvre la plus illustre donne des signes de patine qui compromettent une appréciation de la délicatesse et du choix des couleurs par le génie que fut De vici. Alors pourquoi ne pas tenter une restauration de la toile mythique ? Les débats préalables font rage dans l’équipe, risque de dénaturer l’oeuvre, diminution de la fréquentation du musée pendant l’indisponibilité du tableau, complexité de la tâche. Malgré tout, la décision est prise, d’autant que les moyens informatiques permettent de simuler le travail et confortent le bien fondé d’une telle entreprise. Reste à trouver l’oiseau rare capable de s’y atteler et acceptant de prendre cette responsabilité. C’est un personnage particulier, italien, renommé qui sera choisi. Son excentricité va de pair avec ses compétences.
Les données techniques et historiques sont insérées avec adresse dans le cours du récit, le roman est ainsi une mine d’or pour comprendre les enjeux d’une profession de l’ombre, qui ne se fait connaître que si par malheur une restauration est ratée, provoquant scandale et opprobre.
C’est aussi une réflexion sur le temps qui passe, la succession des générations :
« Avant reste pourtant votre présent, mais vous pressentez qu’il appartient déjà au passé, car vous-même avez subtilement glissé. Et si vous parlez d’avant, vous parlez aussi de maintenant comme si ce n’était plus de votre temps qu’il s’agissait, comme si maintenant était étranger, allogène, comme si maintenant n’était pas un bien commun à tous les vivants mais un privilège réservé à d’autres que vous ne comprenez plus »
L ‘auteur y aborde aussi le thème de la beauté, de sa définition, de sa perte dans la vie courante, sacrifiée sur l’autel de la rentabilité et de l’éphémère d’une société de consommation.
Le roman ne manque pas d’humour : on pense au ballet de l’auto laveuse circulant entre les sculptures ! Épisode qui convoque aussi les arts de la musique et de la danse.
Porté par une très belle écriture, raffinée et érudite, tout en restant accessible, ce premier roman est remarquable.
352 pages Philippe Rey 12 janvier 2023
Visiter un musée participait du statut social, un marqueur fiable d’un lifestyle éclairé comme la dégustation de jus pressés à froid ou le port d’une montre connectée. A condition de pouvoir en témoigner. Les réseaux sociaux étaient là pour ça.
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Le temps de cet instant suspendu, les deux femmes se jaugèrent. Quelque chose de tranchant et de pointu affleura à la surface du visage cordial de la ministre. Aurélien pensa à un éclat de verre dans un pot de miel.
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Des milliards de formes et de couleurs, des milliards de pixels, agencés pour surprendre, étonner, captiver sans cesse, bombarder dans un flux intarissable, indigeste, une diarrhée dont on ne pourrait se soustraire à moins de renoncer à faire partie du monde. Et ce déluge aurait raison des hommes et de leur intelligence, de leur capacité à vivre et à être, de leur capacité à réfléchir et à s’émouvoir, de leur capacité à aimer. Il les détournerait des choses vraies, les obligeant à voir à travers un écran, pour qu'il n’aient plus jamais à lever la tête, courbant leur nuque, fixant le regard dans la même direction pour l’éternité.
En tant que réalisateur et directeur artistique, Paul Saint Bris s’intéresse à la fonction des images. L’allègement des vernis est son premier roman
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