David Ducreux-Sincey
C’est une étrange relation qui se noue entre le narrateur et son petit voisin, que l’on n’ose pas qualifier d’ami. Une relation de dépendance, teintée d’admiration pour l’audace du jeune Romain Poisson, en qui il perçoit les capacités de réaliser une oeuvre salvatrice, qui est ni plus ni moins de le débarrasser de sa propre mère
"J'avoue que l'idée de me retrouver orphelin me plaisait. C'était comme si une puissance supérieure venait à mon aide, elle m'exauçait, sans toucher à mon innocence, ni faire naître la moindre culpabilité."
Il faut dire qu’elle n'est mère que par la fonction déclarée, tant on voit en elle une sorte de réincarnation de Folcoche, la mère de Poil de Carotte. Le gamin exprime sans langue de bois une haine féroce, envers celle qui s’acharne à lui rendre la vie insupportable.
"J'aurais voulu lui casser les dents, lui crever les yeux, la faire souffrir. Lui lacérer les joues avec les tessons de mon flacon de parfum. Sa tête. Sa tête surtout. C'était sa tête que je voulais écraser. Et crever ses veines une à une, et la dépecer."
Le duo maléfique constitué par Poisson et le narrateur est dépeint sur quelques années, et l’on est convié au spectacle de l’évolution de deux enfants. Malgré les années et leur corollaire, une progression dans la trajectoire assortie de moyens plus ambitieux, Romain Poisson reste concentré sur ses projections de succès politiques, tandis que notre narrateur demeure l’exécuteur des basses-oeuvres. Il fait preuve d’une fidélité à toute épreuve, quelles que soient les missions à accomplir et malgré les déboires inévitables d’un tel parcours.
La détermination est le maître mot de leur deux trajectoires, parallèles et fusionnelles. L’ascendant de Romain poisson ne fait pas de doutes, mais, en y réfléchissant, on pourrait se demander qui manipule l’autre.
Un humour féroce traverse ces pages et j’ai beaucoup apprécié l’écriture et le ton décalé, sur parler de sujets difficiles, et en particulier de la maltraitance, et de ce qu’elle peut induire sur une personnalité en devenir.
La morale n’est sans doute pas au rendez-vous. Mais quelle morale, celle qui permet que l’on vole son enfance à un juin garçon qui n’a rien demandé ?
Un premier roman marquant, pour l’originalité du sujet et de la manière dont il est traité et pour la grâce du style.
283 pages Gallimard 2 janvier 2025
J'avoue que l'idée de me retrouver orphelin me plaisait. C'était comme si une puissance supérieure venait à mon aide, il m'exauçait, sans toucher à mon innocence, ni faire naître la moindre culpabilité.
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J'aurais voulu lui casser les dents, lui crever les yeux, la faire souffrir. Lui lacérer les joues avec les tessons de mon flacon de parfum. Sa tête. Sa tête surtout. C'était sa tête que je voulais écraser. Et crever ses veines une à une, et la dépecer.
Après avoir travaillé dans le milieu de l’édition, David Ducreux-Sincey a été attaché de presse (2005-2010), responsable presse (2010-2019) et responsable presse et relations publiques (2019-2023) chez Galimard, il est directeur de Ducreux Conseil. La loi du moins fort est son premier roman.
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