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L'aveuglement

José Saramago








  • Broché : 384 pages
  • Editeur : Points (25 septembre 2008)
  • Existe en version numérique
  • Traduction (portugais) : Geneviève Leibrich
  • Collection : Points











Science-fiction et Prix Nobel peuvent cohabiter et même faire bon ménage : L’Aveuglement est un roman de José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, et seul auteur portugais à avoir eu cet honneur.

Un homme au volant de sa voiture ne redémarre pas au feu vert. Concert de Klaxons et protestations n’y feront rien : l’homme est subitement devenu aveugle! C’est inquiétant et intrigant, mais très vite on comprend que c’est le cas index d’une série interminable de cécités subites : le seul contact visuel avec une personne atteinte par ce « mal blanc » (ces aveugles-là ne sont pas plongés dans les ténèbres mais dans un vide blanc), provoque la maladie. 

Rapidement les autorités réagissent et parquent les sujets atteints dans un hôpital psychiatrique désaffecté. Les conditions sont ultra-précaires et rapidement les parias sont confrontés à des obstacles de toutes sortes, et à des conditions d’hygiène épouvantables.  Et une femme parmi eux s’en rend compte de manière plus aiguë que les autres puisqu’elle est la seule à ne pas être atteinte. Elle a juste feint le handicap pour accompagner son mari.

Lorsque les cas se multiplieront au dehors, l’existence des reclus, plus de trois cent dans des locaux destinés à recevoir nettement moins de pensionnaires, les conditions de survie deviendront inhumaines. Et c’est alors que se manifeste la part animale de l’homme.


Autant dire que le récit est terrifiant et l’empathie nous fait souffrir avec eux. Peu importe que l’idée de départ soit peu crédible. Les conséquences, elles, sont totalement plausibles. Et l’horreur de la dégradation physique et des souffrances charnelles est amplifiée par l’infamie des outrages psychologiques. C’est glaçant.

Le style est particulier et demande une attention soutenue : les dialogues  ne sont pas séparés du récit, les phrases, juste sépares par des virgules, ce qui oblige à s’interroger sur qui dit quoi. Difficile de juger de la traduction, mais le style m’a plu parfois bizarre.

D’autres particularités rendent ce récit singulier, comme l’absence d’identité des personnages, nommés en fonction des circonstances qui les ont introduits dans le roman : la femme du médecin, le premier aveugle, le chien des larmes…

C’est un roman marquant. Merci à Gwen21 pour ce cadeau.



Le feu vert s’alluma enfin, les voitures s’élancèrent brusquement, mais il devint vite apparent que toutes ne s’étaient pas élancées également. La première voiture de la file du milieu est arrêtée, elle doit avoir un problème mécanique quelconque, l’accélérateur qui a lâché, le levier de changement de vitesse qui s’est coincé, ou bien une défaillance du système hydraulique, un blocage des freins, une interruption du circuit électrique, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’une panne d’essence, ce ne serait pas la première fois que cela arriverait. Les nouveaux piétons en train de s’assembler sur les trottoirs voient le conducteur de l’auto immobilisée gesticuler derrière le pare-brise pendant que les voitures derrière klaxonnent frénétiquement. Plusieurs conducteurs sont déjà sortis de leur véhicule, prêts à pousser la voiture en panne là où elle ne gênera pas la circulation, ils frappent furieusement contre les vitres fermées, l’homme à l’intérieur tourne la tête vers eux, d’un côté, puis de l’autre, on le voit crier quelque chose et aux mouvements de sa bouche on comprend qu’il répète un mot, non, pas un mot mais trois, c’est bien cela, comme on l’apprendra quand quelqu’un aura enfin réussi à ouvrir une portière, Je suis aveugle.


*

Assis chacun sur son lit, les aveugles attendirent le retour au bercail des brebis égarées, Des cornards, voilà ce qu’ils sont, dit une grosse voix, sans deviner qu’elle se faisait l’écho de la réminiscence pastorale d’un homme incapable de dire les choses différemment. Mais les vauriens ne se montraient pas, ils devaient se méfier, sans doute y avait-il parmi eux une personne aussi perspicace que l’aveugle ici qui avait eu l’idée de la rossée. Les minutes passaient, plusieurs aveugles s’étaient couchés, un s’était déjà endormi. Qu’est-ce que c’est que ça, messieurs, ici on ne fait que manger et dormir, Finalement, on n’est pas si mal que ça ici, À condition que la nourriture ne vienne pas à manquer, car on ne peut vivre sans elle, on se croirait à l’hôtel.


*

L’on dit à un aveugle, Tu es libre, la porte qui le séparait du monde s’ouvre, Va, tu es libre, lui dit-on de nouveau, et il ne bouge pas, il reste immobile au milieu de la rue, lui et tous les autres, ils sont effrayés, ils ne savent pas où aller, et c’est parce qu’il n’y a aucune comparaison entre vivre dans un labyrinthe rationnel comme l’est par définition un hospice de fous et s’aventurer sans la main d’un guide ou sans laisse de chien dans le labyrinthe dément de la ville où la mémoire ne sera d’aucun secours puisqu’elle sera tout juste capable de montrer l’image des lieux et non le chemin pour y parvenir. Plantés devant l’édifice maintenant en flammes d’une extrémité à l’autre, les aveugles sentent sur leur visage les ondes vives de la chaleur de l’incendie, pour eux elles sont une sorte de protection, comme les murs auparavant, à la fois prison et abri.










José de Sousa Saramago est un écrivain et journaliste portugais, né le 16 novembre 1922 au Portugal et mort le 18 juin 2010.. Il est le seul  auteur lusophone à avoir reçu le prix Nobel de littérature, en 1998.
Son livre L'Aveuglement figure sur la liste des 100 meilleurs livres de tous les temps établie en 2002 par le Cercle Norvégien du Livre,

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