Camille de Toledo
- Broché : 251 pages
- Éditeur : Editions Verdier (20 août 2020)
- Langue : Français
C’est sous la forme d’une mélopée, d’un long poème lyrique, soutenue par une sublime musique des mots que Camille de Toledo se penche sur l’histoire d’une lignée, pour tenter d’écarter avec ferveur le poids d’une malédiction qui a conduit les hommes de cette famille à se donner la mort tandis que les survivants sont lestés de peurs ancestrales, de celles qui attaquent les corps autant que les âmes.
Thésée a cru que la rédemption viendrait de l’exode, vers un autre pays, là où personne ne sait les malheurs qui l’ont précédé, mais la fuite n’est pas la solution : autant enterrer une taupe, qui n’en creusera pas moins de multiples galeries qui fragiliseront le sous-sol.
Alors c’est de regarder l’histoire en face, sans esquive, en parcourant les traces que les ancêtres ont laissées dans l’histoire, sous forme de lettres, de photos, qui guidera l’homme atteint dans son corps, que toutes les médecines du monde ne parviendront pas à soulager. Comprendre pour effacer le poids du silence, pour balayer les peurs tapies dans l’environnement chimique de notre héritage génique.
C’et ainsi que Thésée questionne les avancées scientifiques qui font de l’épigénétique une des voies d’explication du mal-être qui accompagne certains d’entre nous. Et la charge est si lourde dans cette famille, et tant d’autre, minée par les guerres, les déportations, les suicides, toutes causes qui s’intriquent et trois générations plus tard continuent de blesser ou de tuer.
On ne redira pas assez l‘élégance la forme, sublime, d’une musicalité émouvante, avec ces phrases qui ponctuent comme autant de refrains le récit. Mais l’esthétique n’est pas la seule force : la dissection minutieuse des processus impliqués dans les ravages des secrets de famille aboutit à une hypothèse scientifique vertigineuse.
Un texte sublime, indispensable.
car il sait aussi que dans certaines cultures, on change les noms des enfants pour empêcher la mort de les trouver ; et il a cette croyance, en partant ; il pense qu’il sèmera les siens en effaçant ses traces, en changeant son nom ; et peut-être aussi, dans son train, en fuyant la parole de son aïeul, redoute-t-il ce que l'histoire d'Oved lui apprendra : le paradoxe de cette soif, de cette quête de continuité pour celui qui en est la blessure…
Une histoire de l’impossible attache
Une généalogie fendue où le fragile se cache sous l’histoire de la force
Et maintenant son corps l’oblige à rouvrir les fenêtres du temps, à suivre les signes qui se hissent du coeur, des poumons, de la moelle épinière, à interroger le pouls qui lui bat les temps, le plexus et le diaphragme noués en lui au point de l’étouffer ; que sait ce corps qu’il ne sait pas ? Est-ce cette mémoire , cette très longue mémoire, celle qui est comme le lit des rivières et n’a besoin d’aucun mot ?
mais ces chefs d'État à la radio, je me dis, ces foutus chefs qui se congratulent célébrant la fin de la première guerre ; ces maudits chefs, qui de France, qui d'Allemagne, qui des États-Unis, se félicitent de la paix en invoquant la bravoure des hommes et la fin des combats que leur espèce, oui leur espèce – des hommes et des femmes que le pouvoir attire – a organisé afin que les nations triomphent , en engloutissant des millions de jeunes enfants ; des enfants, je pense, comme Nissim qui combat, engagé sur un champ de bataille pour des idées ou qu'on lui a mis, hélas, dans la tête dès le berceau : le Progrès, la Liberté, l'Égalité ; vois, mon frère, les goumiers, les Juifs, les Arabes, les derniers immigrants qui se donnent à une nation qui les rejettera plus tard…
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