Camille Laurens
- Éditeur : Gallimard (20 août 2020)
- Langue : Français
- Broché : 240 pages
- Existe en version numérique
Tout est dit dans ce récit, dévoré d’une traite. Etre une fille ou une femme : toute une aventure.
Même ce que peut en dire notre langue est remarquable, dans sa pauvreté lexicale pour définir une bonne moitié de l’humanité, et dans le machisme des règles grammaticales. Camille Laurens ne laisse passer aucun manquement, tant les mots sont le reflet de la place accordée aux femmes dans la société. C’est l’occasion de pointer du doigt des anomalies que l’on ne relèverait pas, tant l’habitude et les automatismes nous en cachent le sens profond.
Dans ce récit qui débute à la fin des années cinquante, on découvre l’univers de Laurence, ni pitoyable ni exceptionnel, père médecin, mère au foyer. Mais dès le départ, à sa naissance, c’est clair que la déception est là « une fille, c’est bien aussi. », même si l’ainée a hérité d’un prénom épicène. Laurence naît sous le signe la double déconvenue.
De l’enfance à la maturité et à la condition de mère à son tour, l'auteur décline tous les chapitres qui marquent l’évolution d’un destin ordinaire mais aussi du regard de la société sur le statut de la femme. Et les contradictions et ambiguïtés que masque un progrès paradoxal.
Etre fille, femme, mère, autant d’étapes cruciales que certains événements ont marquées au fer rouge : agressions sexuelles, perte d’un enfant, déconvenues amoureuses.
La génération née au 21è siècle saura-t-elle faire la part des choses et affirmer bien haut sa liberté et son indépendance. C’est ce que laisse entendre la dernière partie.
Très belle écriture, et magnifique récit, premier coup de coeur de 2021 !
Notre fille Alice, quatre ans, dit qu’elle est un garçon.
— Oui.
— Elle voudrait être un garçon. Nous ne savons pas comment faire.
— Comment faire pour quoi ? »
Je baisse les yeux.
« Eh bien… »
Il enchaîne :
« Elle dit qu’elle est un garçon ou bien c’est vous qui dites qu’elle voudrait être un garçon ? »
Je bégaie.
« Je…
— Ou encore, c’est vous qui voudriez qu’elle soit un garçon ? »
Me voilà déjà sur le banc des accusés, avec les psys c’est toujours la même chose, les mères doivent plaider leur cause – les mères seules.
*
« Qu’est-ce que tu voulais dire tout à l’heure quand tu as crié “pas elle” ? Comment ça, pas elle ? Tu ne veux pas me répondre ? Tu boudes aussi ? Telle mère, telle fille. Mais enfin, qu’est-ce que tu as aujourd’hui ? Tu as tes bidules ou quoi ? »
La fin de l’amour, on ne l’aperçoit pas toujours. Mais parfois, si. Parfois même, on peut la dater.
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