Annie Lulu
- Éditeur : Julliard (21 janvier 2021)
- Langue : Français
- Broché : 224 pages
- Première sélection Prix Orange
« J’aurais dû te noyer quand tu es née, j’aurais dû t’écraser avec une brique »
C’est avec ces mots d’une grande violence que commencent les confidences de Nili, née en Roumanie d’une mère professeur de lettres à l’université et d’un père congolais. Ces confidences sont destinées à son fils, encore à l’abri des vicissitudes de la vie dans l’utérus maternel. La naissance imminente induit une nécessité de dire tout ce qui a été tu pendant de longues années.
Et c’est ainsi que l’on découvre l’enfance tragique de la jeune femme près d’une mère qui avoue clairement son rejet, et ne s’intéresse à cette enfant métisse qu’en tant que future universitaire, consacrant donc son éducation à l’apprentissage sans répit des bases d’une future carrière.
La préparation de sa thèse fournira à la jeune femme l’opportunité de fuir cette mère indigne, et d’entreprendre lors de son séjour à Paris une recherche désespérée de ses origines.
Ce premier roman est écrit avec une maestria remarquable, la langue charrie poésie et violence, les faits sont énoncés sans tabou, mais sans rancoeur. Il s’agit moins d’un réquisitoire que de la volonté de se ré-approprier ce qui lui a été volé, son identité et ses origines.
C’est brillant, tant sur le plan du style, de l’usage des mots que de l’art de mêler l’Histoire à l’histoire.
Premier roman remarquable.
Une voiture de métro à Paris, comment t'expliquer, c'est une sorte d'entonnoir de géographies, d'yeux étirés, de peaux ébène, de cheveux à la raideur charbon jouxtant les visages incroyablement hâlés d'autres femmes qui me ressemblent, personne ne me scrutait ne me toisait, et moi mon fils, je pouvais contempler tous ces visages.
*
Les villes, tu vois, ce sont des verges tueuses levées contre l'aube, ou bien des plateaux de peau à grouillements, sur le dos lacéré de la terre, des sexes ouverts et rempli de cafards évités par quelques rares oiseaux qui savent bien ce qu'ils voient quand ils voient une ville : la réunion inappropriée d'hommes et de femmes chassés d'eux même par l'amour de l'argent et de la jouissance solitaire.
*
Une fois, elle était complètement ivre, c'était la veille de mon examen du baccalauréat, j'avais 17 ans, la véhémence du soir attaquait le petit appartement blanc d'uneombre d'après-pluie et, depuis la cuisine ouverte sur le salon qui nous servait aussi de chambre nous vivions l'une sur l'autre et dormirons ensemble–chacune un bureau collé à deux bibliothèques en bois de chaque côté de la pièce–, je relisais mes fiches de lecture sur le canapé lit qu'elle et moi nous partagions. Ma mère me regardait fixement depuis la table haute qui sépare la cuisine de la pièce principale, son verre de Cotnari à la main. Elle m'a dit : Nili, je m'en fous que tu deviennes jolie, tu feras ce que tu veux à te trémousser partout, mais tu feras ta thèse, je peux pas être la mère d'une conne, elle m'a toujours parlé durement.
Annie Lulu est née à Iaşi, en Roumanie, d'un père congolais et d'une mère roumaine. Arrivée très jeune en France, au début des années quatre-vingt- dix, elle est aujourd'hui professeure de philosophie en région parisienne.
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