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Le passeur ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Stéphanie Coste




  • Éditeur : Gallimard (7 janvier 2021)
  • Langue : Français
  • Broché : 136 pages
  • Première Sélection Prix orange 2021








Court et puissant, ce roman est un coup de poing. Parce que même si c’est une fiction, il est le reflet de ce qui se passe au quotidien pour des milliers de fantômes errants, dont le rêve d’un ailleurs rédempteur s’est transformé en un cauchemar de la pire espèce. 


Le  narrateur est comme l’indique le titre un passeur, un type qui a trouvé un filon pour se faire du fric, beaucoup de fric, en organisant la fuite des « cargaisons », qu’il aperçoit le temps d’affréter un bateau de fortune. Armé d’une carapace d’indifférence, condition nécessaire pour survivre à ce qu’il vit, mais pas suffisante : les paradis artificiels et le khat sont nécessaires pour consolider le clivage qui le maintient en vie.


Un être abject, donc. Seulement malgré l’ivresse de l’alcool et du pouvoir, des images reviennent, une histoire passée se construit entre les chapitres, celle d’un enfant puis d’un jeune adulte trahi, bafoué, humilié au nom de causes politiques ou religieuses, qu’il n’a jamais eu envie de soutenir. Juste pris dans l’engrenage. Avec une seule issue, la fuite…


Un équilibre précaire aux confins de la folie, qu’une « cargaison » pas comme les autres, un regard croisé  et un passé qui ressurgit viendront  mettre en péril.



C’est une lecture terriblement éprouvante, en raison du thème mais aussi de la force des mots pour raconter en peu de pages l’horreur à nos portes. Ce n’est pas une découverte, de temps à autre en fonction des priorités de l’actualité, les médias s’emparent de ce qui devient un fait divers, le temps de quelques gros titres. Et c’est la force de la littérature, de créer une prise de conscience plus marquante qu’une photo éphémère à la une d’un journal.




J'ai fait de l'espoir mon fond de commerce. Tant qu'il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules d'or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d'en face.

*

L'endroit est bondé comme d'habitude. Je reconnais de loin quatre ou cinq mecs en treillis qui bossent pour Ftis. Il ne me calcule pas, absorbé à mastiquer un khebab entre deux bouffées de chicha. L'odeur de graillon mêlée à celle du tabac me coupe toute envie d'avaler un truc. Je fais signe au serveur de m'apporter une pipe et m'asseoir en face de Banda.

*

Rester seul dans l'encre du soir, je ne voit que les yeux phosphorescent de Madiha. La lune pâle  me ramène Ibrahim et l'ombre du flingue sur son flanc qu'il porte gauchement, qu'il n'assume pas, qu'il redoute. Il ne me regarde pas en remontant dans la caisse et remet tout de suite la musique à fond. Ce n'est plus le bruit de nos solitudes qu'il couvre mais celui de sa désapprobation






Stéphanie Coste a vécu jusqu’à son adolescence entre le Sénégal et Djibouti. Elle vit à Lisbonne depuis quelques années. Le passeur est son premier roman. 

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