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Les Méduses n'ont pas d'oreilles ⭐️⭐️⭐️

Adèle Rosenfeld



  • Éditeur ‏ : ‎ Grasset (12 janvier 2022)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 240 pages
  •  #Lesmédusesnontpasdoreilles #NetGalleyFrance 

Malgré son obstination à nier l’évidence, la narratrice sombre peu à peu dans un chaos qui l’isole de son entourage. Les sons ne lui parvient pratiquement plus, et avec eux le sens et le jeu des échanges. La lecture labiale n’est pas suffisamment discriminante et les autres issues font l’objet d’un long débat intérieur.


Faut-il se résoudre à intégrer le monde du handicap en s’astreignant l’apprentissage de la langue des signes, qui élève une frontière infranchissable entre les pratiquants et le reste du monde ?


Ou se tourner vers la technologie, et y laisser une part de sa liberté et de son âme ?


C’est ce débat qui alimente le récit, retraçant le combat féroce de cette jeune femme qui, loin de tirer profit de sa particularité, la cache aux yeux des autres. Le déni l’entraine dans une gestion de plus en plus complexe des relations, qu’elles soient amoureuses ou professionnelles. 


L’isolement inéluctable est partiellement compensé par les amis imaginaires prêts à occuper le devant de la scène dès que la situation est embarrassante.


On perçoit parfaitement le ressenti de la narratrice qui s’épuise à comprendre et à interpréter les sons de plus en plus ténus qui lui parviennent. 

L’attitude peu empathique d’un entourage qui s’agace de devoir répéter est également très bien restituée.


C’est parfois un peu confus, lorsque l’imagination et la réalité se confondent. Effet peut-être voulu pour immerger le lecteur dans cette ambiance de doute permanent où l’absence de perception conduit à reconstruire une logique, au risque de se fourvoyer. 


Un premier roman plutôt réussi, avec cet écueil de passages sibyllins qui perturbent la lecture. 





Le langage aussi peut être sécurisant, voire sécuritaire : on croit alléger la dureté des mots en les compliquant. Sourds, aveugles, vieillards, malades mentaux, on a honte de parler de vous : des malentendants aux hospitalisés spéciaux en passant par les non-voyants et les seniors, on va arriver à parler des personnes mortes comme des non-vivants.

*

Oedipe s'était crevé les yeux, mais pourquoi ? Il aurait dû plutôt se crever les oreilles. En réalité c'était une affaire d'oreilles. Oedipe a mal entendu le message de l'oracle, c'était un malentendant, il n'avait pas su écouter les mises en garde. Mais le sourd n'a pas la grandeur de l'aveugle, ni son calme philosophique. Et l'engouement de la psychanalyse a persévéré dans ce malentendu. Non, vraiment, ça n'avait aucun sens, les psys ne sont ni yeux ni bouches, ils sont oreilles.

*

Il expliquait que les tentatives qui se développaient pour archiver le Web n'y faisaient rien, que le passé échappait, que le futur allait être encore moins enregistrable et conservable. La fragilité des supports, leur durée doive extrêmement courte faisaient que nous entrions plus encore dans l'oubli.

*

En poussant la porte de mon appartement, j'ai marché sur des morceaux de papier qui couvraient le sol jusqu'à la moitié du salon. Toutes le feuilles de mon herbier sonore avaient été déchiquetées et avec elles les feuillets des plantes miraginaires. Cirrus bavait de rage, tournait en rond, battait les angles de la pièce avec sa queue, rien ne l'arrêtait. J'ai cherché le soldat dans le carnage pour qu'il mette un terme à la pagaille. Il est apparu, chancelant, habillé avec une de mes robes d'été. 





Adèle Rosenfeld est née en 1986. Elle  travaille dans l’édition depuis dix ans. En 2018, elle intègre le Master de création littéraire de l’université Paris 8 Elle écrit son premier roman autour d’un personnage qui plonge dans le silence







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