Isabel Gutteriez
C’est un étrange cortège, orchestrée par une femme qui sait que ses jours sont comptés, et demande à son fils de perpétuer la tradition japonaise Ubasute. L’abandon d’un mourant au sommet d’une montagne est un témoignage de respect et une façon de mourir dans la dignité.
Le trajet est une sorte de testament, de confidences au gré du chemin, de souvenirs qui émergent avant que tout cesse, la vie et la douleur.
Le sujet peut sembler terriblement accablant. Mais la détermination de la narratrice, la confiance qu’elle accorde à son fils et l’absence de plainte en font plutôt un écrit de la sérénité, de l’acceptation d’un destin clos, au terme d’une vie ordinaire dont la finitude fait partie du jeu.
"Il pourrait ralentir, il pourrait oublier la raison de sa présence ici, il pourrait faire demi-tour et redescendre, la mère sur le dos, à grandes enjambées vers le jour qui se lèvera encore, la vie.
Mais il a promis.
Et elle lui fait confiance."
C’est un chant d’amour partagé, un amour lourd d’un passé commun, heureux, où résonnaient les échos de l’enfance, les perspectives à court terme et les histoires banales d’une famille banale, d’une famille aimante.
Très beau roman, élégant, sans pathos, et animé d’un charme étrange.
112 pages La fosse aux ours 19 Août 2021
C’était arrivé il y a quelques années, cinq, six peut-être, après que la photo a été prise. Le pays s'est arrêté, les écoles fermées, les familles au nid, le monde était suspendu au souffle de l'humanité qui vacillait. Un souffle devenu court, si court que certains en perdaient la vie.
*
Vois-tu, mon petit roi, il y a des gens qui se perdent entre les lignes d'un livre comme d'autres se perdent dans la nuit. Ils parcourent les chemins d’encre en passant la tête à travers les personnages qu'ils ont choisis. Ils ressentent leurs peurs, leurs désespoirs, leurs désirs, leurs soifs, leurs passions et, l'ouvrage refermé, les emportent dans leur cuisine ou dans leur lit. Quelques fois même, ils le tiennent prisonnier dans leurs propres greniers, dans leurs caves les plus secrètes, forçats sur leurs routes intimes, ils ne veulent plus s’en séparer, ils préféreraient même mourir que les abandonner.
Isabel Gutierrez enseigne la littérature et le cinéma à Grenoble. Ubasute est son premier roman.
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