Philippe Hayat
Paris 1914. Jeanne est en conflit avec son père. Pour ce directeur d’une usine de productions de pièces automobiles, aucune question ne se pose, son fils prendre la suite et Jeanne se mariera. Peu lui chaut les excellents résultats scolaires et les ambitions de la jeune fille, on ne déroge pas à ce qui est évident. C’est donc la rupture, premier élément d’une suite de catastrophes. L’assassinat de Jean Jaurès, que Jeanne côtoie dans les locaux de l’Humanité, puis la mobilisation et la guerre. Les destinées volent en éclat : le frère aimé de Jeanne est envoyé sur le front. Pour le retrouver, elle s’engage comme infirmière…
Philippe Hayat rend très bien compte de cette ambiance si tendue de cette année 1914, entre les revendications du peuple et la menace d’un conflit en Europe. Jaurès était partisan de la paix. La France n’est pas armée pour se lancer dans la guerre. Malgré cela, Poincarré engage le pays dans ce qui sera la Grande Boucherie.
On revit la guerre à hauteur de tranchée, les blessures atroces, les morts innombrables, les absurdités du fonctionnement militaire….
Le roman dresse ainsi le portrait d’une jeune femme aux convictions fermes, insensible au socialement correct, et prête à tout pour défendre ses opinions.
Roman féministe, planté dans un décor où cette notion n’avait pas de sens, porté par une écriture sans compromis.
Un bémol cependant, pourquoi avoir immolé le frère de Jeanne en l’affligeant d’une blessure en tout point similaire au personnage d’Au-revoir là-haut ?
367 pages Aout 2022 Calmann Lévy
Je me demande si l'homme, finalement, n'est pas prédestiné à la souffrance. Il est aussi incapable de se résigner à sa nature animale que de s'en affranchir.
*
Tu vas aux adieux ? Moi, je n'ai pas le courage. Sans lui on va faire comment ?
La dernière édition traîne sur la table
–il l'ont, leur foutue guerre, Jeanne !
–Et Jaurès est leur premier mort.
*
Des colonnes de fumée montent des cratères et la plaine est chauve. Les bombes ont épuisé la terre. Il ne reste qu'un terrain vague et grisâtre, ondulé de petites buttes, truffé de corps, de débris de bois et de ferraille. Quand un obus enterre les cadavres, le suivant les déterre.
*
À l'arrière, il faut qu'ils sachent, eux qui ne font la guerre qu'avec des mots, des mots romantiques auxquelles le dictionnaire donne le plus de prix, « patriotisme », « sacrifice », « héroïsme », ces mots qu'ils utiliseront pour sanctifier les morts et qui auront précipité leur anéantissement.
Philippe Hayat publie Momo des Halles en 2014, traduit en plusieurs langues, lauréat du Festival du premier roman de Chambéry. En 2019, Où bat le cœur du monde reçoit les prix Filigranes et Talents Cultura. La Loi du désordre est son troisième roman
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