Benjamin Planchon
Quoi de plus banal pour débuter un roman ? L’annonce du décès d’une aïeule dans l’incendie de sa propriété, la demande express de venir reconnaître le corps, dont le visage a été épargné, un trajet en voiture jusqu’au domaine. Certes l’irruption d’une libellule géante sur le pare-brise pourrait étonner. Mais après de longues heures de route en solitaire, les sens ne sont-ils pas perturbés ? Le doute survient aux premières touffes d’herbes rouges. La certitude advient lorsque le flic chargé de l’enquête arrive au domaine escorté de deux cerfs blancs…
Deux solutions à cette étape : faire une petite sieste et passer à autre chose, ou plonger sans hésitation au coeur de ce roman totalement déjanté, où il faut se méfier des tulipes furtives, et accepter que le trafic de lait de tiques constitue un négoce juteux pour la famille hors norme qui vit dans ce territoire incroyable.
Pire encore, Benjamin Planchon ne recule devant aucune traitrise, mêlant les vraies fausses références et les fausses vraies informations pour mieux nous perdre. De néologismes en créations délirantes que Boris Vian (L’écume des jours) ou Louis Malle (Black moon) n’auraient sûrement pas reniées.
C’est délirant, jubilatoire ! Un conseil, se laisser porter par la poésie qui se dégage de ce roman extravagant, et se laisser accompagner dans les créations hallucinées du récit. On peut détester : j’adore.
PS Même la couverture me séduit
256 pages millet Barrault 16 mars 2022
Je l’ai entendue grommeler un jour, alors qu’elle tondait les porcs, une vieille phrase de Lénine : « pour un oeil, les deux yeux ; pour une dent, toute la gueule. » C’était une femme déterminée.
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Il n’y a à notre connaissance qu’un exception : malgré ses recherches, Minh n’est pas parvenu à trouver trace d’un drame survenu le jour de ma naissance ; nous en vînmes à la conclusion suivante : la catastrophe de l’année 1979 était ma naissance. J’étais la catastrophe.
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Il m’arrive parfois de mettre en doute, d’un bloc, tous mes souvenirs de jeunesse ; comment être certain qu’ils ne sont pas des oeuvres d’imagination ? Peut-être mon enfance n’est-elle qu’un tas de mensonges consignés dans le Livre d’or. Peut-être suis-je prisonnier de fictions indélébiles et suis-je le scénariste crétin de mon propre passé. Comment savoir ?
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Sans y penser, je piétine les entaches d’une tulipe furtive, qui pousse un petit cri aigu, tente de s’enfuir, puis explose en laissant jaillir un épais liquide jaunâtre.
Benjamin Planchon, 43 ans, est auteur d'une première publication, "Capsules", paru en 2018. Il est également musicien.
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