Cléa Chakraverty
L’idée fondatrice est louable et même nécessaire. Même si à travers des faits divers suffisamment sordides pour parvenir à notre connaissance via la presse internationale, les viols et les conditions de vie au quotidien des femmes indiennes est proprement révoltante.
A l’occasion du dixième anniversaire de la mort d’une jeune femme violée et torturée, l’indifférence des médias conduit un jeune avocat à une démarche hors norme : il dépose une plainte contre Ram, le dieu de la mythologie hindoue, avec la ferme intention de prouver que les interprétations sexistes du Ramayana, le texte qui rapporte l’histoire de Ram et et de son épouse Sita, sont à l’origine du traitement inique des femmes dans ce pays. Une anthropologue qui n’a peur de rien ni de personne est bien décidée à le rejoindre dans ce combat.
Or Sati, une jeune fille muette et défigurée, sauvée in extremis d’une tentative d’infanticide dans ses premiers jours de vie, devient malgré elle l’instrument de Sita qui parle à travers elle dans des épisodes de transe qu’elle ne contrôle pas.
Le combat ne sera pas de tout repos pour cette équipe déterminée mais isolée.
La construction de ce roman, animé par des personnages forts, et qui n’hésite pas à invoquer le surnaturel, est intéressant. On est plongé au coeur du foisonnement humain de ce pays, que l’autrice connaît bien. Malgré l’évolution démographique et l’arrivée d’une classe moyenne aisée et puissante, le sort des femmes et des parias stagne depuis des décennies, aboutissant à une situation de féminicides quasi instituée, en anténatal ou dans les premiers jours de vie (en témoigne la jeune fille médium du roman). Celles qui survivent à ces premiers jours courant le risque de se faire agresser, quel que soit leur âge (une femme est victime de viol en Inde toutes les dix minutes, et en 2022 la plus jeune avait 3 mois et la plus âgée 90 ans!).
Sur la forme, qui alterne les styles, quelques remarques :
On a pris l’habitude de voir s’immiscer les moyens les plus modernes de communication, tels que les storys insta, (c’est dans l’air du temps et ça ne nuit pas au déroulé de l’histoire. Elles sont même ici, une astuce habile pour énoncer des chiffres).
Par contre je suis plus mitigée sur les dialogues, artificiels, avec des infos donnant l’impression de copié collé.
Un sujet de société grave, traité de façon originale, mais une forme décevante.
464 pages Eloge 12 janvier 2023
« Une femme ne doit jamais être indépendante ». Ne sont-ce pas là les termes de ce code inique ?
Cette rhétorique, axée sur la culpabilité de la femme et la supériorité de l'homme, continue de gangrener notre esprit, employée aussi bien par les politiques que les gourous : si vous êtes victime d'une agression, n'en êtes-vous pas responsable ?
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Elles ont quitté leur village à plus de 500 km d'ici. Certaines sont arrière-grand-mères ! D'autres de toutes jeunes filles ? Mais voyez ! Elles sont ici, en colère contre ce gouvernement qui veut déplacer des rivières, bâtir sur des forêts, faire de la terre une braise ardente ! Venez, grand-mères, venez conter au monde l’histoire de la terre que l'on pille et violante, l'histoire des femmes qui alerte mais que trop souvent on ignore !
Clea Chakraverty a vécu plusieurs années en Inde où elle a été journaliste pour différents médias, dans le monde diplomatique.Elle y a aussi mené des recherches en anthropologie. Elle est aujourd'hui en charge de sujets de politique et société pour la revue en ligne The conversation France. La voix de Sita en premier roman
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