Emilio Sciarrino
Élise, la Maldue, n’a pas su résister au chant des sirènes qui lui promettent un avenir meilleur. Écarté le chemin du bac pro, la jeune fille est admise en classe prépa. Inutile de préciser qu’elle a dû en termes vagues expliquer à ses parents le but de la manoeuvre, eux qui la voyaient plutôt faire carrière dans la boutique de chocolat de luxe de Crèvecoeur, une bourgade picarde dont le nom évoque les sentiments que ressent la jeune fille vis à vis du cadre de son enfance. C’est sans grande difficulté que, deuxième surprise, Elise est admise dans une prestigieuse école de commence parisienne. Elle semble avoir en main les atouts pour s’en sortir avec les honneurs. Il aura cependant suffi d’une soirée arrosée pour la trajectoire s’infléchisse. Expatriée en Angleterre, Elise doit travailler dans un café pour subvenir à ses besoins. Outre les difficultés de la langue, les horaires de salariée et les matières à bosser, le covid et ses confinements entre en scène…
Le parcours ne s’achève pas avec l’épidémie et on suit avec intérêt l’itinéraire personnel de la jeune femme.
La question du transfuge de classe est un sujet qui depuis Annie Ernaux et l’un de ses premiers romans La place, est un sujet qui m’intéresse. Ici l’auteur analyse les origines de l’échec, qui pour n’être pas programmé est cependant possible à chaque étape. Une fragilité, un accident imprévisible, une rencontre mortifère et tous les espoirs s’envolent.
On peut d’ailleurs se poser la question des motivations à suivre cette voie royale qui n’était pas initialement pour elle. Elle ne semble même pas se targuer de ses capacités intellectuelles. Le défi, la revanche sur le destin ne sont pas non plus des motivations. Le sentiment d’imposture l’emporte largement sur l’autosatisfaction.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman et la façon dont il traite les aléas du destin individuel, souvent programmé bien en amont des choix proposés.
224 pages Belfond 6 avril 2023
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Le professeur fit l’appel
Maldue ? Présente, dit-elle d'une petite voix en levant la main ; elle craignait que les autres étudiants se mettent à rire ; un silence placide accueillit son nom.
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Tout revint : le bruit des voitures, les miasmes qui empestaient les rues, les foules anxieuses et masquées, impatientes de retrouver le boulot, les magasins, les divertissements, impatientes de fuir les êtres chers qu'elles ne supportaient plus après vous avoir été enfermées avec eux, brûlant d'échapper à elles-mêmes, les foules qui tout à coup s’amassaient par grappes, avant de se disperser dans la ville à moitié déserte ; les messages mielleux dans les médias invitant à reprendre la vie normale, travailler, dépenser, consommer.
Né en 1988 en Italie, Emilio Sciarrino est un écrivain franco-italien.
C'est en effet une question intéressante de savoir si son sentiment de l'échec imminent lui vient d'une croyante en l'inéluctabilité des classes (à comparer aux castes hindoues toujours marquées) ou dans le sentiment de trahison envers ses parents ou autre chose ?
RépondreSupprimerEn effet , et c’est sans doute un peu tout ça, nos comportements sont les résultats de mécanismes complexes qu’on ne peut expliquer de façon univoque
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