Ruth Ozeki
Gros coup de coeur pour ce roman américain, qui réunit tout ce qui me séduit en littérature !
La parole est donnée à ceux qui se taisent : les objets qui nous entourant, le livre que nous tenons sont conviés à livrer leurs pensées les plus intimes. Personnages à part entière, ils soutiennent le discours parfois délirant de Benny, cet ado qui ne parvient à masquer son mal-être et subit ainsi les humiliations de ses pairs, qui agissent en se conformant au comportement animal qui bien souvent consiste à éliminer les plus faibles de la cohorte.
Et pourtant, on l’adore ce personnage, qui a, à quatorze ans, déjà vécu de sombres drames, et qui lutte pour ne pas se laisser envahir par ces voix chorales issues de tous les objets qui l’entourent, de ses peluches à ses chaussures !
Quant à Annabelle, sa mère, bien éprouvée elle aussi par la perte de son mari et rattrapée par la précarité induite par la politique de notre système, que d’empathie elle suscite et combien on souhaiterait que la vie lui sourie à nouveau !
La poésie improvisée s’invite au cours des pages mais une place originale est aussi réservée à des extraits de la bible du rangement de Marie Kondo, devenue nonne bouddhiste. Pourra-t-elle venir en aide à Annabelle, noyée au coeur d’une accumulation monstrueuse, au point d’être menacée d’expulsion ?
Le roman est aussi un hommage rendu à la littérature et aux pouvoirs des mots, ainsi qu’aux lieux qui les abritent dans le calme feutré ambiant qui les caractérise, ces temples du savoir que sont les bibliothèques.
Bien d‘autres facettes de notre façon de vivre et de consommer sont abordées tout au long de ce roman foisonnant : la consommation, les limites de la psychiatrie, le racisme …
Les quelques 600 pages défilent à toute vitesse, pour un grand bonheur de lecture. C’est une découverte de cette autrice que je ne connaissais pas. A suivre de près !
Merci à Netgalley et aux éditions Belfond.
592 pages Belfond 6 avril 2023
Traduction (Anglais) : Sarah Tardy
#RuthOzeki #NetGalleyFrance
Depuis le début, je suppose que les livres savent tout surtout, mais peut-être que tu es un livre débile, ou bien un livre tire-au-flanc – le genre de livre qui commence au milieu, parce qu'il ne connaît pas le début de l'histoire, il n'a pas envie de trop se fouler, tu vois ? C'est ça ? Tu fais partie de ces livres-là ? Non, parce que si c'est le cas, tu ferais peut-être mieux d'aller trouver une autre histoire à raconter, celle d'un enfant normal, par exemple, qui a plein de copains et qui n'entend pas de voix.
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Les histoires ne commencent jamais par le début, Benny. C'est en cela qu'elles diffèrent du réel. On vit la vie de la naissance à la mort, depuis le début vers un avenir incertain. Mais les histoires, elles, apparaissent a posteriori. Les histoires sont des vies vécues à rebours.
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Si la peau marque la frontière entre la fin du moi et le début du toi, alors ils firent tout pour la franchir, cette nuit là.
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Dedans ? Dehors ? Quelle est la différence ? Comment la déterminer ? Lorsqu’un son pénètre en vous par vos oreilles, et se fond dans votre esprit, que devient-il ensuite ? Est-il toujours un son ? Lorsque vous mangez une aile, un œuf, un pilon, à quel moment n’est- ce plus un poulet ? Quand vous lisez ces mots sur la page, que leur arrivent-t-ils lorsqu'ils ne font plus qu'un avec vous ?
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Le travail de l'artiste, de faire bouger le statu quo, de changer la manière dont les gens voient normalement les choses. De nous réveiller de cet opium idéologique que nous appelons la vie.
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Le monde vous a donné des yeux pour voir la beauté de ses montagnes et rivières, et des oreilles pour écouter la musique, de ses vents et mers, et une voix pour le raconter. Nous, les livres, nous en sommes la preuve. Nous sommes là pour vous aider.
Ruth Ozeki est une écrivaine et réalisatrice américaine née en 1956.
Ses deux premiers romans Mon épouse américaine (My Year of Meats, 1998) et All Over Creation (2003) ont reçu de nombreuses récompenses.
Il a l'air bien, merci pour la découverte !
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