Joy Sorman
Et il y a ce mot : fou. On le prononce, on ne le prononce pas. F.O.U., on est d'accord, pas d'accord avec ces trois lettres. C'est le mot commun, c'est le mot qui vient, c'est le mot tendre ou effrayant, c'est le mot qui en contient mille autres, qui agrège tant de sentiments, –amour, compassion, crainte, soupçon. Un de ces mots encombrants, difficile à manier, qui nous tombe de la bouche.
Incursion dans un univers parallèle, chez ceux dont on ne sait si l’enfermement est une protection pour eux-même ou pour ceux qui les ont enfermés. Les fous, tels que les nomme Joy Sorman, selon un terme générique qui, comme bien d’autres étiquettes de différence, est devenu une insulte, est finalement un qualificatif dont le manque de précision est un indicateur précieux de ce dont on parle.
L’autrice s’est imprégné de l’ambiance de ce lieu, qui perturbe le visiteur par la multiplicité des stimulations sensorielles qui signent l’a-normal. Si les traitements sont moins inhumains, et si les fous ont désormais des étiquettes, rien n’a changé dans le principe. Et surtout, cette population en marge dit beaucoup de nous, dit la ténuité des frontières entre le normal et le pathologique et dit l’intolérance.
Cet essai en immersion est très intéressant et s’il ne s’agit pas d’un roman, il est peuplé d’une galerie de personnes qui pourraient chacun être le personnage d’une fiction.
On y perçoit bien aussi le délitement du système de santé, qui malgré les progrès de la connaissance est miné par le manque de moyens attribués.
Lu avec intérêt, parce que le sujet me passionne, mais aussi en raison de l’humanité qui se dégage de ces lignes, d’où est absent le jugement.
288 pages Flammarion 2 février 2021
Nous sommes tous doués de folie, le seuil d'apparition des symptômes varie seulement d'un individu à l'autre, en fonction des caractères biologiques, familiaux et sociaux.
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Être interné, c’est rejoindre une communauté non désirée, c'est vivre en collectivité, sans l'avoir choisi, c'est, comme au-dehors, éprouver de la sympathie pour les uns, de l'antipathie pour les autres, mais dans un espace clos, et permanent, de quelques dizaines de mètres carrés.
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Je vais le dire très simplement, j'aime les fous, j'aime bien, tout ce qui est hystérique, leurs délires me fascine, même si je sais aussi leur souffrance. J'ai le profil pour apaiser leur moments de crise, en vingt ans de carrière, je n'ai eu peur que deux fois.
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Je ne sais pas comment les médecins peuvent se défaire de ces injonctions contradictoires, être à la fois soignant et garant de l'institution asilaire, thérapeutique, mais aussi liberticide, je ne vois pas comment sortir de cette nasse.
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L'individu atteint est bien souvent le symptôme d'une famille malade qui ne peut conserver sa cohérence et sa légitimité en désignant un de ses membres, comme l'élément perturbateur, le ferment du désordre.
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Parce qu'au début, l'HP, on ne supporte pas, puis, on s'habitue et on finit par aimer ça, par oublier qu'une autre vie est possible. Et on ne se sent plus la force de sortir.
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La folie et la mort s'avancent pourtant ensemble, le fou la préfigure, l'anticipe, annonce la vanité et la précarité de toute chose, et c’est fort de ce savoir qu'il lui rit au nez, la méprise, car il en a vu d'autres, il connaît le vide au cœur de la vie, il n'a pas besoin d'attendre la fin pour en faire l'expérience. Cette fin qui, pour les fous, vient souvent bien vite.
Née en 1973 Joy Sorman est une écrivaine, chroniqueuse de télévision et animatrice radio.
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