Kévin Thiévon

En mars 1988, 5000 personnes ont succombé à Halabja, sur le territoire kurde en Irak. Gazées par l’armée aux ordres de Sadam Hussein. En marge de ce massacre, Kevin Thiévon focalise l’intrigue de son roman sur trois personnages. Marwan, un prince exilé avec ses grands-parents qui ont fui la menace de disgrâce, quittant ainsi son ami Adnan, Zelda une jeune femme fantasque, fascinée par la fantaisie de sa grand-mère et attirée par cette période sombre de l’histoire du Moyen-Orient, et Sergio qui a lui aussi quitté la terre de sa famille. C’est dans un parc d’attraction qu’ils se rencontreront. C’est à travers leurs trois histoires que l’on comprendra peu à peu ce qui les unit.
Si Marwan s’est trouvé un équilibre dans sa nouvelle vie, c’est au prix du silence, celui des grands-parents, et en acceptant de ne pas connaître tous les éléments de l’histoire familiale. Les révélations seront d’autant plus difficiles à admettre. Se construire dans un flou mémoriel entretenu n’est pas simple :
« Qu'il soit ou non un homme du Baas, un jeune de France, un fils méconnaissable pour ses parents, un homme des machines et des manèges, rien n’interfère plus entre lui et le monde – un monde alors réduit à cet appartement qui sent le café froid et à ce Park, sous bâche, dédale de caisses et de collègues trop vus »
Pour Zelda, c’est une énergie bouillonnante qui gouverne sa vie :
Zelda ressent comme une agitation furieuse, celle qu’ont les êtres qui naissent dans le ventre de l'humanité banale, et ne s'en accommodent pas. Ces êtres qui n'ont rien de spécial au départ. Ni origine exotique ni parents surplombant le monde. Mais tout à conquérir.
Personnage lumineux, elle est la figure d’une génération qui refuse de se voiler la face, et ne renonce pas à franchir les limites de l’indicible, car pour elle la vérité importe plus que le confort illusoire qui procure l’ignorance.
Quant à Sergio, c’est le plus complexe, et celui qui provoquera le plus d’émotions lorsque l’on comprendra qui il est.
Roman fort, hanté par les horreurs dont on voudrait, selon un voeu pieux, s’assurer qu’elles ne ne reproduiront jamais, plein d’humanité et de questions sans réponse. Porté par une très belle écriture, dont le lyrisme ne masque cependant pas les messages qu’elle diffuse.
224 pages Bruit du monde 21 août 2025

Il n'y a rien d'autres à faire maintenant. Parler peut-être. Pas forcément. Être là suffit sans doute. Respirer. Observer le témoignage d'une ville battue. Se regarder parfois. Pas forcément dans les yeux. Pleurer il n'est plus nécessaire.
Jamais Marwan n'a senti au fond de son ventre cette masculinité triomphante du Baas. Indéchiffrable, son identité est comme noyée dans la boue
Les fantasmes de l'enfance révèlent ici leur première faille. Un mythe se met en marche. Il est fait de poussière, de balle sifflante et d’humains qu'elle s'imagine différents. Il s'incarne dans un pays qui devient l'imagerie du chaos.

Né en 1993, Kévin Thiévon est diplômé d'un MSc de l’EDHEC Business School (2013-2017) et d'un MA du King’s College de Londres (2020-2022).
Son parcours dans les relations internationales l’a notamment conduit à vivre en Irak, un pays dont l’histoire a en partie inspiré son premier roman, "Le bouche dans le sable" (2025). Kévin Thiévon a été lauréat du Prix du Jeune Écrivain en 2020.
Depuis 2025, il est Adjoint au chef de département OTAN - Relation transatlantique au Ministère des Armées et vit à Paris.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire