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La nuit ravagée ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

Jean-Baptiste Del Amo 












C’est avec La nuit ravagée que je découvre Jean-Baptiste Del Amo. Avec un roman d’horreur, qui implique tous les codes du genre. 


La présentation est assez longue, il faut environ 200 pages pour mettre le décor et les personnages en place. Pour un peu, on pourrait se croire dans un roman de Nicolas Mathieu, une petite ville de province, dans les années 90, un lotissement, des élèves ordinaires, une bande d’ados qui trouvent refuge dans des serres abandonnées pour fumer quelques pétards. Quelques indices semés ouvrent la porte de l’étrange, comme cette maison en ruines qui exerce sur eux attraction et répulsion. Des événements dramatiques surviennent, de ceux qui endeuillent une communauté, comme la mort d’une jeune mère ou le suicide d’un élève, dans des circonstances qui semblent quand même particulières.


Puis lorsque l’entrée de la maison de l’impasse sera franchie, c’est toute leur vie qui basculera dans un autre monde…


On a l’impression en tournant les pages de regarder un classique du cinéma d’horreur. Mais on a plus envie d’en rire que de frissonner. Certes une belle imagination crée un monde parallèle aussi dangereux que sublime, sur le plan de la création, et c’est aussi ce qui donnerait envie de voir l’oeuvre adaptée !


C’est aussi l’histoire d’un passage, à double titre, dans un autre univers mais aussi vers le monde des adultes :


Cet après-midi fut l'un des plus heureux qu'ils aient connu ensemble, dont ils se souviendraient  comme l'un des derniers jours de joie et d'insouciance de leur adolescence. Peut-être il y en aurait-il d'autres, envers et contre tous, bien plus rares cependant, et vécus à l'ombre des évènements qu’ils s'apprêtaient à se produire et donc ils ignoraient encore tout.



Si cette maison exerce sur eux un tel attrait, c’est qu’elle est capable de s’immiscer au plus profond de leur âme et leur offre  la possibilité d’exprimer leurs désirs les plus secrets et parfois les plus inavouables. Un sous-texte psychologique donc, une plongée au coeur des maelströms d’une psyché d’adolescent. 


On a tous trouvé dans la maison ce qu'on redoute ou qu'on désire plus que tout


Ce rite de passage les emmènera vers un avenir modifié par cette expérience : 


Elle sentit de façon obscure que ce que la maison de l'impasse des Ormes leur avait arraché, cette part d’eux même qu'ils ne retrouveraient jamais, qui n'était pas de l'innocence mais une foi – même fragile, même crédule – en la possibilité de l'enchantement du monde cet irréductible morceau d'enfance sans lequel ils ne seraient plus jamais que des adultes


Même si ce type de roman ne fait pas partie de mes choix habituels, j’ai pris un grand plaisir à découvrir l’auteur, et et même à suivre les aventures surnaturelles de cette bande d’ados. 

Essai transformé et l’envie de lire les autres romans de l’auteur .


464 pages Gallimard 6 mars 2025








Cet après-midi fut l'un des plus heureux qu'ils aient connu ensemble, dont ils se souviendraient  comme l'un des derniers jours de joie et d'insouciance de leur adolescence. Peut-être il y en aurait-il d'autres, envers et contre tous, bien plus rares cependant, et vécus à l'ombre des évènements qu’ils s'apprêtaient à se produire et donc ils ignoraient encore tout.


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Elle sentit de façon obscure que ce que la maison de l'impasse des Ormes leur avait arraché, cette part d’eux même qu'ils ne retrouveraient jamais, qui n'était pas de l'innocence mais une foi – même fragile, même crédule – en la possibilité de l'enchantement du monde cet irréductible morceau d'enfance sans lequel ils ne seraient plus jamais que des adultes



Jean-Baptiste Del Amo



Né en 1981,Jean-Baptiste Del Amo, né Jean-Baptiste Garcia, est un écrivain français.


Le monde est fatigué ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Joseph Incardona











Cette belle jeune femme enchante les yeux des petits et des plus grands en ondulant au coeur des plus prestigieux aquariums de la planète mais aussi dans des piscines privées, nous faisant fréquenter le temps d’un spectacle un monde de nantis, pourris par l’opulence et la démesure et  qui peuvent s’offrir le spectacle féérique d’une sirène brillant de mille paillettes ! Pourtant elle cache un double secret. Sa discrétion pour revenir sa tenue de scène n’est qu’un subterfuge pour occulter son terrible handicap : un accident lui a valu une double amputation. Les prothèses sont fonctionnelles mais sont loin d’être glamour. Une façon aussi d’aborder le thème du handicap. L’autre secret est une quête que l’on découvre avec le développement de l’intrigue. 


Outre cet amour de l’eau et de la performance en apnée, la sirène veut en découdre. La patience dont elle fait preuve est compensée par le bien-être que l’eau et le déguisement lui procurent. La vengeance comme point de mire et la  réparation du préjudice, pas seulement physique qu’elle a subi seront à la hauteur de sa souffrance. 


Un roman qui se laisse dévorer avec avidité, au rythme de la traque et des épreuves que s’inflige Êve, on adore ce personnage , qui incarne la revanche des démunis vis à vis de ceux que rien n’atteint et qui narguent les petits, ceux à qui l’on imposera de trier leurs pauvres déchets, un non sens face à la débauche de moyens de ce milieu fermé. 


Fable écologique donc, qui donne envie de hurler dans la description des continents de plastique, et récit d’un périple mortifère qui finit en apothéose !


Au fond, c'est peut-être tout ce qui importe : trouver des restes de beauté au milieu de l’effondrement


Un magnifique roman, qui se lit très facilement, mais soulève d’importantes questions, traitées ici de façon très originale .





224 pages Finitude 22 août 2025

Prix des deux Magots 2025







Où vas-tu, Êve ?

Réponse : l’important n’est pas où elle va, mais ce qu’elle attend. 


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La perfection côtoie toujours l’obsession et la folie 


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Il n'est pas facile de raconter la joie, la prouesse serait d'écrire un roman entier là-dessus, sur la félicité, peu exportable, car ennuyeuse pour celui qui ne la vit pas, insupportable ataraxie pour le préoccupé, face à la béatitude du souriant.


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Au fond, c'est peut-être tout ce qui importe : trouver des restes de beauté au milieu de l’effondrement


Joseph Incardona

Né en 1969, Joseph Incardona est un écrivain, scénariste et réalisateur suisse.


Lire aussi 


Les corps solides 


La soustraction des possibles 


Stella et l’Amérique











 


Le plus beau jour de ta mort ⭐️⭐️⭐️⭐️

Isabelle Marsay 

Céline Cénac 











Vives et énergiques, les deux femmes qui animent les pages de ce roman et particulièrement Max, ne manquent pas d’imagination, au rythme de  dix mille idées par heure ! Le restaurant que tient Luce, la narratrice, offre une carte de plats italiens, mais l’affaire n’est pas très lucrative et souffre de la concurrence, malgré la qualité de ce qu’il propose. Alors Max a une nouvelle idée : à la manière des organisations de mariage, proposer aux futurs défunts, de planifier dans les moindres détails le déroulement de leurs funérailles, ce qui leur permettra de mettre sur pied une cérémonie qui leur ressemble  et qui éventuellement sera une vraie fête. Tous les moyens nécessaires seront employés : vidéos, acteurs, playlist musicale bien sûr. 



Le premier client est un suicidaire, tout se déroule selon ses voeux. Mais la renommée arrive avec leur deuxième futur défunt : un homme en fin de vie, peintre peu connu, qui souhaite avant tout écarter ses enfants de l’affaire, en léguant ses biens, d’une part à l’Aide sociale à l’enfance et d’autre part, un pourcentage non négligeable aux organisatrices de sa flamboyante sortie de scène ! Mais tout ne se passera pas comme prévu ! 


L’idée est originale. Certes les pompes funèbres font leur travail en organisant les démarches et le déroulé des obsèques, de façon traditionnelle, mais pour qui souhaite faire dans l’originalité, tout est à faire soi-même ! Ici, on vous mâche le travail 



Le parti pris de deux autrices est d’alléger un sujet qui porte peu à sourire ou encore moins à rire. Le cocasse des situations et les projets déjantés permettent la mise à distance. La truculence du personnage de Max fait le reste, et ses interventions lors de son procès sont un morceau de bravoure.


On perçoit aussi la joie des autrices de se jouer du langage, au risque de commettre quelques calembours totalement assumés. 


Un roman léger, qui offre en  prime une « histoire d’humour qui pourrait tourner à l’amour », un moment de détente avec une lecture sans prise de tête 


Merci à Isabelle Marsay pour sa confiance 


228 pages Auto-édité 3 septembre 2025







La nostalgie m'envahissant, j'avais raconté les obsèques d'un ami tué dans un carambolage, à l'âge de 30 ans. Sa cérémonie avait été complètement bâclée : il y avait eu une chanson de Johnny, qu’il détestait, et son « ex » horrible avait  caressé son cercueil avec la pulpe de ses doigts. Répugnant. Que cette sangsue soit présente m'avait été écœurée. Rater sa vie, soit, mais rater  ses funérailles, en plus…




Isabelle Marsay a remporté à 17 ans le 1er Prix du concours de poésie organisé par l’Académie des Jeux Floraux et séjourné à la villa Velázquez de Madrid.

Céline Cénac est une artiste peintre dont l’ADN est composé de basque, de sarde et d’italien. 


L'homme sous l'orage ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Gaëlle Nohant 











Dans le Sud-Ouest de la France, près de la frontière espagnole, Rosalie se languit dans le château de ses parents. Son père et son frère se battent sur le front et sa mère, qui garde en elle le deuil d’un enfant disparu  n’a pas su reporter son amour maternel sur sa deuxième fille. La demande d’asile d’un déserteur va bouleverser la vie de la jeune fille.


Loin des barbouillages de ses jeunes années, Rosalie va découvrir l’art mais aussi l’amour, tandis que son implication près des soldats qui reviennent détruits des tranchées lui fait prendre conscience de l’injustice qui règne en ce bas monde. Avant même de comprendre les mécanismes de fonctionnement de notre société, la révolte féministe l’anime, bien attisée par les audaces de sa cousine qui n’est jamais rentrée dans le rang, et n’acceptera pas de tomber dans le piège qu’est le mariage.


Chronique d’un temps révolu et roman initiatique, L’homme sous l’orage est un superbe roman, qui nous dit s’il en était besoin les horreurs de la guerre, mais nous fait aussi assister à l’éveil de la conscience d’une jeune fille aussi mal aimée qu’étouffée dans un cocon protecteur plus néfaste qu’utile.


Les personnages secondaires ne sont pas moins attachants, comme celui la jeune bonne qui rêve d’une autre vie , une façon  aussi d’aborder le thème des relations des anciens avec leurs domestiques.


Je me suis fait piégée : je me suis précipitée sur la toile pour découvrir les toiles de Théodore Brienne…Il ne me reste qu’à les imaginer à travers les mots délicats qui les décrivent dans le roman.


Des questions fondamentales hantent le roman, le sacrifice de vies humaines,  le désarroi d’hommes qui n’ont d’autres  choix que de perdre la vie ou la santé sur des terrains de combats fomentés par des « prêcheurs à l’abri de la bataille ».



Grand bonheur de lecture que ce roman rédigé avec toute la délicatesse de l’autrice. 


340 pages L’Iconoclaste 21 août 2025






S’arracher à la guerre impliquait de  devenir étranger à son histoire , de faire table rase de ce qu’il avait construit . Désormais, il flotte sans attaches à la surface du monde. Sa vie est une toile grattée jusqu'à la trame. Ils se sent sec, et vieux.


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La nuit d’ici abrite autant de sons et de mystère que celle du front . Ne manquent que le tintement des barbelés hérissant la nuque des sentinelles de garde. Mais ce sont les ténèbres d’une terre qui  ne connait pas la guerre. Qui ignore qu’elle peut être brûlée, scarifiée, ravagée, jusque dans ses racines, dans son histoire.


*


Bercés de patriotisme et de grandeur, ils ne veulent pas savoir que ces grands mots ont armé les bombes qui pleuvent sur leurs enfants.


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Elle ne savait pas qu'elle était belle, ignorait combien elle était seule. Et cette joie qui n'en finit pas de raisonner dans son corps, la réconcilie avec la fillette qui pensait que si elle courait assez vite, le diable, lui-même, n'arriverait pas à la rattraper.



Gaëlle Nohant


Née en 1973, Gaëlle Nohant est une écrivaine française.

Elle a fait des études de Lettres. Elle vit aujourd’hui à Lyon. 




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Légende d’un dormeur éveillé


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