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In Violentia veritas

 Catherine Girard 











Le salaire de la peur, si ce titre évoque encore quelque chose, renverra le plus souvent au film d’Henri-Georges Clouseau avec Yves Montand et  Charles Vanel. Ces deux monstres du cinéma auront facilement éclipsé le roman qui a inspiré le film. Et il n’est pas certain que le nom de l’auteur surgisse facilement lors d’un quiz littéraire  Et pourtant Georges Arnaud alias d’Henri Girard est en lui-même un personnage de roman ! Accusé d’avoir assassiné trois personnes, son père, sa tante et leur domestique, il est acquitté. 


Lorsque Philippe Jaenada reprend l’histoire, avec la verve et le style qu’on lui connait, et sa méticulosité pour l’analyse de la documentation, il conclut que l’homme était en effet innocent.


Affaire classée ? Non, puisque la propre fille d’Henri Girard blanc un pavé dans la mare  : son père lui a avoué être l’auteur de ces meurtres, prémédités de plus !

 

Au-delà de la polémique qui oppose les deux auteurs, attardons nous sur le récit de Catherine Girard. D’emblée, il peut sembler étrange de publier un texte à charge contre son propre père. La démarche inverse aurait paru plus logique. Jaenada accusateur et Catherine Girard, avocat de la défense. Réhabilitation à l’envers !


Le personnage est intrigant : on comprend bien qu’il a vécu une enfance pourrie, près d’un père qui rend fou, et qui pourrait avoir induit par ses méthodes éducatives pour le moins déstabilisantes un trouble de la personnalité grave chez  le jeune homme. Une vie tumultueuse, sans repère, sans vision à long terme !


En revanche, le récit est assez désorganisé, et on peut se perdre dans les générations et les allers et retours dans la temporalité. D’autre part, on finit par se lasser de l’univers foutraque où évoluent les personnages. 


Est-il coupable ou non, finalement ce n’est pas la question, ce récit est plutôt le témoignage d’un amour inconditionnel d’une fille envers son père, malgré ce qu’il a pu faire dans le passé, et une volonté de faire connaitre sa vérité !


Lecture en demi teinte donc, en raison de mon manque d’attrait pour le sensationnel !


352 pages Grasset 20 août 2025







C'est l'histoire de mon père, un homme que j'aimais comme le laisse transparaître l'espace qui noue entre elles les lettres de mes mots  et ceux qui les séparent. Car l'amour est indéfectible. J'ai cherché la vérité derrière celle que je savais, sans jamais oublier l’horreur.

 

Catherine Girard


Catherine Girard est la fille d’Henri Girard dit Georges Arnaud (1917-1987), auteur du célèbre roman "Le Salaire de la peur" (1950). 


Successivement dresseuse d’éléphants à Mae Sai, navigatrice au Portugal, acheteuse de pierres précieuses en Birmanie, fleuriste de bodega à Rio, vendeuse de voitures de luxe au Japon, elle signe avec "In violentia veritas" (2025) son premier livre.


Le pays dont tu as marché la terre ⭐️⭐️⭐️⭐️

 Daniel Bourrion 


Le pays dont tu as marché la terre par Bourrion



Ce premier roman est remarquable par la ténuité du propos, servie cependant par une écriture à la lisière de la poésie.




Dans un décor rural démuni, les souvenirs affluent, parfois évanescents, parfois plus précis parce qu’une scène a marqué le narrateur. 


j'ai reconstruit ce que je parvenait à collecter dans ma seule mémoire.


Si l’auteur interpelle son héros dans un tutoiement familier, c’est pour évoquer ces temps qu’ils ont partagé avant que le déterminisme social les éloignent à tout jamais . Un tutoiement comme une réparation d’une dette d’oubli.


J'écris pour toi d'ici, du domaine des vivants, temporairement. C'est le grand jeu, auquel on perd toujours. Cette règle là, nul n'y déroge, c'est une bonne chose, tu en profites comme tous les autres, le même égal enfin.


On remarque d’emblée le parti pris de composition stylistique, les mots simples, mais dont la juxtaposition attire l’attention. Lorsque le procédé s’affirme, avec la progression de la lecture, la mélodie originale se laisse approprier et l’on finit pas l’apprécier. Le contraste est d’autant plus fort que l’on a affaire à la description poétisée d’un milieu frustre, où le langage n’est pas le mode de communication. 


Dans ce paysage, mal loti, d’autres inégalités accentuent la mise à l’écart de certains.


La seule justice semble être le repos de la mort.


Roman court, mais il n’aurait pas été judicieux d’en rajouter, et quête d’une réhabilitation généreuse,  et très  beau texte, hommage aux gens de rien, aux fantômes  d’une époque, à ceux que le destin oublie dans sa distribution de cadeaux, et qui ne semblent  pas revendiquer une quelconque légitimité. 


128 pages  Héloïse d’Ormesson 20 aout 2025







J'écris pour toi d'ici, du domaine des vivants, temporairement. C'est le grand jeu, auquel on perd toujours. Cette règle là, nul n'y déroge, c'est une bonne chose, tu en profites comme tous les autres, le même égal enfin.


Daniel Bourrion


Daniel Bourrion a suivi des études de lettres (un DEA "Littérature et spiritualité" et une thèse rédigée, mais jamais soutenue, dans laquelle il tente de montrer les apports possibles du concept de fractales dans le champ littéraire.

Après diverses expériences professionnelles (analyste-documentaire pour l'INIST-CNRS, enseignant, conseiller principal d'éducation), Daniel Bourrion est devenu conservateur des bibliothèques. 


Le dieu des bois ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Liz Moore 


Le Dieu des Bois par Moore


La disparition : un thème récurrent pour ce genre de roman. 


Une adolescente qui participait à un camp de vacances se volatilise sans explication. Ce n’est pas n’importe quelle ado : elle est la fille du propriétaire des lieux ! Une jeune fille rebelle que ses parents ne parviennent pas à canaliser. Raison pour laquelle  ils avaient accédé à sa demande de participer au séjour dans le camp. 

Les portraits de cette famille aisée seront dressés avec minutie, le père, banquier, héritier de trois générations unies par ce même attrait pour l’argent, la mère mariée très jeune,  en proie  à des angoisses qu’elle noie dans l’alcool, on saura rapidement pourquoi.


Car l’événement ramène le souvenir d'un autre drame survenu six ans plus tôt. C’est Pierre le quatrième de la généalogie, surnommé Bear, qui a lui aussi disparu brusquement ! L’enquête avait permis de démasquer un coupable presque trop idéal, qui n’a pas purgé sa peine, puisqu’il était décédé avant de pouvoir être incarcéré. 


Personnages troubles, menteurs, masquant une vérité qui fait mal, et qui surtout mettrait en péril la réputation familiale !



C’est la pugnacité d’une jeune enquêtrice, qui malgré la difficulté de s’imposer au  sein d’une équipe particulièrement machiste (nous sommes en 1975, on peut concevoir que la présence des femmes dans ce milieu était plus clairsemée que de nous jours, mais quand même ) qui permettra de comprendre ce qui s'est passé. 



Roman sombre, avec une intrigue travaillée, qui se laisse lire sans difficulté malgré les 650 pages. L’intrigue est un prétexte pour traiter de la transmission intergénérationnelle, de la place des femmes au sein du couple, et dans le milieu du travail. 


512 pages Buchet-Chastel 6 mars 2025

Traduction Alice Delarbre




Est-ce que ça a vraiment rendu service d'avoir toujours eu tout ce dont nous avions besoin depuis la naissance ? J'ai dans l'idée que ça a pu nous priver de désir, de la force de la volonté.


*


Quand les parents ou les grands-parents se sont déjà chargés de guérir et de conquérir, que reste-t-il à faire aux autres générations ?

Liz Moore



Liz Moore vit à  Philadelphie où elle enseigne. Elle est également l’autrice de La rivière des disparus adaptées en série télévisée par Sony. Best-seller aux États-Unis avec plus de 500 000 exemplaires vendu. Le Dieu des bois a été traduit dans 25 langues et  a figuré par les romans favorites de Barack Obama.

La cabane dans les arbres ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Vera Buck 


La Cabane dans les arbres par Buck


Son premier roman traduit en France, Les enfants loups,  avait été remarqué. Avec La cabane dans les arbres, Vera Buck confirme son talent d’autrice qui sait ferrer un lecteur, et ne plus le lâcher avant qu’il ne soit parvenu à la fin de l’ histoire qu’elle lui propose !


Arès un prologue assez impressionnant, et qui ne laisse aucun doute, on n’aura pas affaire à une fade bluette on fait la connaissance de Rosa, une jeune femme animée d’une passion hors norme pour le phénomène biologique que représente la mort. Elle a obtenu un diplôme en sciences médico-légales mais n’a pas trouvé d’emploi qui lui convienne pour utiliser ses connaissances. Elle n’en pourrait pas moins ses propres expérimentations, analysant en forêt la couleur des feuilles d’arbres, dont les nuances pourraient indiquer qu’un organisme en décomposition se trouve à sa base. Jusqu’à ce qu’elle déterre un squelette bien encombrant.

Henrik, Nora et leur fils  sont en route vers un éden suédois, parcourant les nombreux kilomètres qui les emmènent vers une main de bois au bord d’un lac, héritage d’Henrik. Dans un cadre idyllique, la petite famille s’installe. Mais rapidement des sources d’inquiétude viennent troubler les vacances rêvées …Les indices ‘accumulent, puis survient le drame..


Un autre personnage intervient régulièrement dans ce roman choral, une petite fille nommée Marla, et qui est séquestrée dans une cabane en haut d’un arbre. Qui est-elle ? On ne le saura que bien plus tard, lorsque les événements nous permettront de comprendre la temporalité. 


Totalement addictif, ce roman se lit la boule au ventre avec une impatience fébrile d’avancer dans l’intrigue, complexe à souhait. La succession des points de vue alimente le suspens, complétant peu à peu le puzzle de cette histoire. Pas de répit, pas une minute d’ennui, les pages défilent sans  temps mort. 


L’intérêt se focalise aussi autour de la psychologie des personnages, parfois conventionnels parfois plus originaux comme l’est Rosa, figure féminine libre et autonome, dont le passé familial trouble aura forgé son indépendance. Elle est un élément central du drame. 


Les trois parties  débutent tous par des extraits des histoires pour enfants de Astrid Lindgren, en référence aussi au métier d’Henrik, écrivain pour enfants, qui ne sait pas toujours faire la différence entre imagination et réalité, ce qui lui confère un statut de menteur, qui vient à point nommé pour complexifier la narration. 


Un grand plaisir de lecture donc, pour ce roman séduisant autant pour l’écriture que pour la construction. 


Autrice à suivre, sans aucun doute. 



465 pages Gallmeister 20 août 2025

Traduction : Brice Germain, 

Titre original : Das BaumHaus







Je fixe les orbite noires, tandis que que je prends conscience de la portée de ma découverte. Un crâne d'enfants. Une vieille capuche. Des os, des vertèbres et des omoplates. Qui diable ai-je bien pu déterrer ?


Vera Buck



Née en 1986, Vera Buck est une autrice allemande. 


Elle a étudié le journalisme, l'écriture de scénarios de communication, la linguistique européenne et la transdisciplinarité des arts en Allemagne, à Hawaï, en France, en Espagne, en Italie et en Suisse.




Lire aussi : 


Les enfants loups


Des enfants uniques ⭐️⭐️⭐️⭐️

Gabrielle de Tournemire 


Des enfants uniques par Tournemire



Hector et Luz s’aiment depuis longtemps. Mais leurs parents s’opposent à leur union. Roméo et Juliette des temps modernes ? Non, il s’agit d’autre chose qu’une haine ancestrale entre les Montaigu et les Capulet. Hector  porte une anomalie chromosomique et Luz vit avec les séquelles d’une naissance très prématurée. Leurs parents se battent au jour le jour pour leur offrir  une vie le plus confortable possible;.Mais envisager une vie de couple, c’est une autre étape, très difficile à franchir. 


Le sujet est difficile : celui de l’amour entre deux êtres en difficulté. Parce que leur différence, leurs limites font craindre de multiples dangers, qui pourtant existent aussi pour toute personne ordinaire. Mais le maintien dans une situation de dépendance globale pose le cadre : l’autonomie en couple n’est qu’une option théorique, source de mille inquiétudes.



L’on sent une grande maitrise du sujet chez cette jeune autrice dont c’est le premier roman. Des questions vécues, qui ne peuvent être une simple affaire de documentation.  Si la prise en charge a progressé sur les trente dernières années, y compris en ce qui concentre la survie et le confort, l’irruption d’une génération revendiquant les mêmes droits que les autres, et donc le doit d’aimer et de vivre en couple, on se heurte aux complexités de l’administration, à la rareté des offres adaptées, et au regard de la société.


Traité avec beaucoup de pudeur, et une grande humanité, le thème de ce roman est une nécessité.


Ecrit simplement, sans pathos, sans romantisation, un beau premier roman. 


284 pages Flammarion 27 août 2025






Le couple handicapé semblait un couple invalide, nullement un pléonasme, parce que le couple était invalide, surtout aux yeux du monde, il souffrait d'un manque de validation bien davantage que d'un manque de validité, d'ailleurs, dans les formulaires à remplir pour candidat, il n'y avait pas de case « situation matrimoniale ». Personne ne croyait vraiment qu'elle soit pertinente, c'était une question sans intérêt, pas comme de savoir si Hector faisait pipi tout seul ou qu'il savait se servir d'une bicyclette.


Gabrielle de Tournemire


Agrégée de lettres modernes et ancienne élève de l’École normale supérieure de Lyon, Gabrielle de Tournemire prépare un doctorat à l’Université de Poitiers. 


En 2021, elle a passé une année dans un foyer d’hébergement pour adultes en situation de handicap, ce qui l’a amenée à écrire, en 2024, son premier roman, "Des enfants uniques ».


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