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Le Lapin des Baskerville ⭐️⭐️⭐️⭐️


 Pierre Mortel Anaïs Dumas 


Le Lapin des Baskerville par Dumas


Le titre contient la clé du propos : la terreur qu’évoque le nom de Baskerville est vitre atténuée par la personnalité de la terreur en question. Un lapin ! Pourtant, il est bien persuadé de régner en tyran sur ce petit monde sauvage qui n’a rien à envier au bestiaire de La Fontaine, la morale en moins. On y croisera un poussin qui fait PIOU PIOU, des escargots blagueurs et moqueurs, un génie mycologique, des champions qui font rigoler et même un ornithorynque philosophe !


Les gags et les bévues se succèdent, le plus souvent très bien trouvés. 


Le trait est simple, juste quelques éléments pour identifier les animaux et c’est suffisant. 



Une BD drôle à mettre entre presque toutes les mains, puisque l’on peut y appliquer différents niveaux de lecture.


Merci à Netgalley et aux éditions Delcourt 




 



L'âme de fond ⭐️⭐️⭐️⭐️

 Julia Clavel 


L'âme de fond par Clavel


Caroline est psychologue. Les patients qui cherchent à comprendre leur mal-être défilent dans le cabinet. Parfois confiés à son collègue psychiatre quand la demande de prescription de psychotropes se fait insistante ou nécessaire. Depuis quelques temps, les décès sont anormalement nombreux dans sa patientèle. Pas des suicides, non, des crises cardiaques, chez des personnes jeunes…Elle n’est pas la seule à se poser des questions, un de ses amis médecins a fait la même constatation, ainsi qu’un afflux dans le service d’’urgences où il travaille . Peu à peu, le doute se fait parmi les politiques : une nouvelle épidémie ?  La question est délicate : révéler au risque de provoquer une vague de panique, ne rien dire et être plus tard accuser de dissimulation ? Que faire de cette « lame de fond nourrie par les évolutions d’une société prête à se fracasser ». 


L’un des intérêts de ce roman dystopique est le défile des personnages que l’on apprend à découvrir. On aime particulièrement ce ministre de la santé qui découvre avec effroi ce que l’on attend de lui, remisant ses rêves de réforme vertueuse. De la paperasserie, qu’il finit comme tous ses confrères par signer sans même la lire, beaucoup de mobilisation pour des petites choses sans intérêt. On aime aussi détester cet homme arrogant et sûr d lui, mais depuis peu fatigué, migraineux et mal dans sa peau. 


Un premier roman remarquable, qui s’appuie sur l’expérience nationale récente de la pandémie de covid, pour en faire une histoire à la fois politique et psychologique, avec une analyse fine de la psyché des personnages, et de ce que la violence de notre société qui broie les individus peut entrainer de détresse.


L’issue de l’affaire est plutôt optimiste, ce qui est assez rare pour le souligner. 



Plaisir de lecture et découverte d’une plume prometteuse.


350 pages L’Observatoire 20 août 2025






Caroline regarde la pluie qui s'est mise à tomber et forme des perles d'eau sur la fenêtre. Celles des immeubles qui se détachent dans la nuit, passerelles vers d'autres monde, failles incandescentes sur une intimité violée. Depuis toute petite, elle aime cette opportunité que crée l'obscurité de pénétrer dans la vie des gens, les observer, alors qu'ils cuisinent ou regardent la télévision, peut-être un avant-goût du métier qu'elle finirait par exercer.



Directrice M&A et membre du comité exécutif d’un grand groupe français spécialisé en santé mentale, Emeis, depuis 2023, Julia Clavel était précédemment conseillère parlementaire à Matignon, puis conseillère technique auprès de la Présidence de la République pour les PME, le tourisme, l'artisanat et l'économie sociale et solidaire (2021-2023). 


"L'âme de fond" (2025) est son premier roman.


Ethel Eden ⭐️⭐️⭐️⭐️

 Marie de Chassey


Ethel Aden par Chassey



Un court roman dont l’intrigue gravite autour d’une pianiste. Une pianiste célèbre, qui parcourt la planète de concert en concert, au coeur d’un orchestre dont le chef Claude, est son mari. Elle est accompagnée dans tous ses déplacements par Pierre, chargé de prévenir toute anomalie dans l’organisation très stricte de son quotidien.


Accompagnée mais seule. Elle ne vit pas sous le même toit que son mari, et noue très peu de liens autour d’elle. On sent une grande détresse que la rigueur d’une discipline maitrisée au prix de nombreux sacrifices et ce depuis sa plus tendre enfance. Elle est à un tournant de sa vie, prête à se laisser engloutir dans ses ruminations .



Les silences prennent une grande place dans le monde  de musique de la narratrice, dotée de cette particularité rare d’une oreille absolue, un véritable handicap dans un notre monde bruyant, qui crée une intrusion de tous les sons ambiants, dont la dissonance met de la laideur sur tout. 



L’histoire de cette carrière exceptionnelle contient entre les lignes les difficultés d’une relation mère-fille centrée sur l’apprentissage de l’instrument. 


Enfant, la musique lui avait procuré le même plaisir. Une berceuse de Brahms déchiffrée pour la première fois. Mais cela remonte aux premiers temps. Lorsqu’elle ne donnait pas de concert, que les concours lui étaient étrangers. Qu'il n'y avait encore aucun enjeu. Mise à part que sa mère l’aime


Chaque pensée, chaque état d’âme reflète le sentiment d’avoir tout subi, de n’avoir rien choisi : 


Non elle n'a jamais choisi d'être pianiste, elle est. Comme pour toutes les choses importantes de sa vie, elle n'a rien décidé.



Il lui aura donc fallu atteindre une maturité certaine, un âge respectable pour prendre conscience de cet esclavage pour pouvoir enfin dire non. 



Le récit de ses angoisses, angoisse d’un échec, d’une erreur, mais aussi de se sentir totalement captive et manipulée par ce qui fait sa vie est très bien analysé. Ce qui pourrait être considéré comme les caprices d’une diva nous est restitué de l’intérieur et prend tout son sens.


Un très beau deuxième roman, après Ce qu’il reste à faire .


144 pages Alma 22 août 2025








À partir du moment où vous apprenez à lire, vous ne pouvez plus échapper à ces milliers de mots, de phrases qui vous entourent partout et tout le temps. Sur les pancartes, les pots de confiture, les devantures de magasin… Elle ne se rappelle plus comment c'était avant avant de savoir jouer du piano. La musique a toujours été là.



Elle ne veut pas qu'il mène la danse. Elle ne veut pas se sentir prise au piège dans le désir de l'autre. Elle veut pouvoir croire que c'est elle qui décide.

Marie de Chassey



Née en 1985, Marie de Chassey consacre le début de sa vie à la musique, puis travaille comme scripte pour le cinéma et poursuit des études en arts, littérature et langage à l’École des hautes études en sciences sociales.


La bouche dans le sable ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Kévin Thiévon 


La bouche dans le sable par Thievon



En mars 1988, 5000 personnes ont succombé à Halabja, sur le territoire kurde en Irak. Gazées par l’armée aux ordres de Sadam Hussein. En marge de ce massacre, Kevin Thiévon focalise l’intrigue de son roman sur trois personnages. Marwan, un prince exilé avec ses grands-parents qui ont fui la menace de disgrâce, quittant ainsi son ami Adnan, Zelda une jeune femme fantasque, fascinée par la fantaisie de sa grand-mère et attirée par cette période sombre de l’histoire du Moyen-Orient,  et Sergio qui a lui aussi quitté la terre de sa famille. C’est dans un parc d’attraction qu’ils se rencontreront. C’est à travers leurs trois histoires que l’on comprendra peu à peu ce qui les unit. 



Si Marwan s’est trouvé un équilibre dans sa nouvelle vie, c’est au prix du silence, celui des grands-parents, et en acceptant de ne pas connaître tous les éléments de l’histoire familiale. Les révélations seront d’autant plus difficiles à admettre. Se construire dans un flou mémoriel entretenu n’est pas simple : 


« Qu'il soit ou non un homme du Baas, un jeune de France, un fils méconnaissable pour ses parents, un homme des machines et des manèges, rien n’interfère plus entre lui et le monde – un monde alors réduit à cet appartement qui sent le café froid et à ce Park, sous bâche, dédale de caisses et de collègues trop vus »


Pour Zelda, c’est une énergie bouillonnante qui gouverne sa vie : 


Zelda ressent comme une agitation furieuse, celle qu’ont les êtres qui naissent dans le ventre de l'humanité banale, et ne s'en accommodent pas. Ces êtres qui n'ont rien de spécial au départ. Ni origine exotique ni parents surplombant le monde. Mais tout à conquérir.


Personnage lumineux, elle est la figure d’une génération qui refuse de se voiler la face, et ne renonce pas à franchir les limites de l’indicible, car pour elle la vérité importe plus que le confort illusoire qui procure l’ignorance.


Quant à Sergio, c’est le plus complexe, et celui qui provoquera le plus d’émotions lorsque l’on comprendra qui il est. 



Roman fort, hanté par les horreurs dont on voudrait, selon un voeu pieux, s’assurer qu’elles ne ne reproduiront jamais, plein d’humanité et de questions sans réponse. Porté par une très belle écriture, dont le lyrisme ne masque cependant pas les messages qu’elle diffuse. 



224 pages Bruit du monde 21 août 2025







Il n'y a rien d'autres à faire maintenant. Parler peut-être. Pas forcément. Être là suffit sans doute. Respirer. Observer le témoignage d'une ville battue. Se regarder parfois. Pas forcément dans les yeux. Pleurer il n'est plus nécessaire.



Jamais Marwan n'a senti au fond de son ventre cette masculinité triomphante du Baas. Indéchiffrable, son identité est comme noyée dans la boue





Les fantasmes de l'enfance révèlent ici leur première faille. Un mythe se met en marche. Il est fait de poussière, de balle sifflante et d’humains qu'elle s'imagine différents. Il s'incarne dans un pays qui devient l'imagerie du chaos.


Kévin Thievon


 Né en 1993, Kévin Thiévon est diplômé d'un MSc de l’EDHEC Business School (2013-2017) et d'un MA du King’s College de Londres (2020-2022). 


Son parcours dans les relations internationales l’a notamment conduit à vivre en Irak, un pays dont l’histoire a en partie inspiré son premier roman, "Le bouche dans le sable" (2025). Kévin Thiévon a été lauréat du Prix du Jeune Écrivain en 2020.


Depuis 2025, il est Adjoint au chef de département OTAN - Relation transatlantique au Ministère des Armées et vit à Paris.


A la découpe ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Pascal Manoukian


A la découpe par Manoukian


L’humour est un remède contre le désespoir ! Alors utilisons au mieux cette arme de la dernière chance !


Après un prologue où le personnage central se révolte contre les limites de son libre-arbitre, on se lance dans un état des lieux bien actuel !

La politique est un sujet de choix dans ce domaine, tant les occasions sont nombreuses d’en souligner les aberrations. 

Dans ce roman court et direct, la situation politique du pays est instable. Le président semble dépassé et le peuple en a plus qu’assez. Le peuple, c’est Hugo, qui vient d’apprendre que la promotion qu’il attendait est finalement un solde de tout compte. Sa situation privée n’est pas non plus idéale, séparé, une garde alternée pour son fils. Sur un malentendu, un micro-trottoir rue du Château des rentiers  il émet l’idée de se présenter aux élections présidentielles  et de 

vendre le pays, au plus offrant, et de redistribuer l’argent récolté, une approximation a déterminé que chaque français recevrait alors douze millions d’euros ! 


Il s’agit d’une farce, du développement d’une logique absurde, mais le raisonnement sophiste permet de poser un certain nombre de questions sur ce qui fait la valeur d’un patrimoine. 


Malgré l’énormité de la blague, on perçoit la connaissance pointue de l’auteur des rouages de notre société, et de son fonctionnement. Il nous manipule avec beaucoup d’esprit et d’ironie, avec une verve sans pareille !  Une magie de la langue qui apparaît dans des punchlines désopilantes : 


L'excision de leurs espoirs à chaque consultation les rendait insensibles aux caresses des candidats, ils préféraient l'abstinence aux orgies de promesses.


Une tiktokerie, deux hanounaneries suffisaient à faire campagne et illusion de démocratie.



Notre personnage n’est pas le premier à s’être lancé dans une campagne absurde, Pascal Manoukian rappelle la candidature de Coluche et d’autres plus anciennes comme celle de Ferdinand Lop, qui envisageait de supprimer le wagon de queue du métro. 

Quant à la vente du pays, plus récemment en littérature Mó Malo imaginait une sombre histoire de chantage autour de la vente du Groenland. 


L’intrigue est truffée  d’anecdotes qui nous rappellent à quel point la situation de notre pays est borderline si l’on suit un peu l’actualité  du moment. C’est en fait triste, alors rions !


Merci à l’auteur pour sa confiance.



148 pages Rio Bravo 4 septembre 2025





« il est rare pour un personnage de roman d'avoir droit au chapitre. Réclamer la parole à son auteur, c'est piocher dans son assiette et les écrivains ne sont pas partageurs



*



L'excision de leurs espoirs à chaque consultation les rendait insensibles aux caresses des candidats, ils préféraient l'abstinence aux orgies de promesses.


Une tiktokerie, deux hanounaneries suffisaient à faire campagne et illusion de démocratie.


Pascal Manoukian


Pascal Manoukian est journaliste grand reporter, il a couvert la plupart des grands conflits qui ont secoué la planète entre 1975 et 1995.

En 2013 il prend la direction de la célèbre Agence Capa. Il la quitte en 2016 pour se consacrer entièrement à l’écriture.


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