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L'oubli

Philippe Forest







  • Broché: 240 pages
  • Editeur : Gallimard (4 janvier 2018)
  • Collection : Blanche
  • Exist en version numérique 
  • Langue : Français






Le moins que l’on puisse dire est que l’on a affaire à un auteur sacrément rusé. Et culotté. Voire les deux.
Je m’explique. Philippe Forest réussit l’exploit de faire publier un écrit vide. La couleur est annoncée : le noeud de l’histoire est un oubli.  L’oubli d’un mot. Lequel? Bien évidemment, on n’en sait rien et l’auteur non plus puisqu’il l’a oublié (l’histoire est connue : j’ai perdu mes clefs.  Où? Je ne sais pas, sinon elles ne seraient pas perdues). Et autour de ce drame, quelques réflexions pseudo-psychanalytiques qui relèvent souvent de la brève de comptoir. Comme par exemple, cette phrase, en exergue entre deux paragraphes : 

« La mer c’est bien ». 

Voilà, voilà. Tout est dit. Autrement dit : on s’ennuie ferme. 

Mais pire que ça, alors que pour m’occuper en tournant les pages, j’imaginais déjà ce que j’ pourrais écrire dans cette chronique, je tombe sur un paragraphe qui correspond exactement à l’argumentaire que je prévoyais, dans une sorte de mise en abyme qui tient plutôt du chien qui poursuit sa queue : 

« Sans aucun doute, c’était le cas de celui-là. Le roman ne comptait pas d’autre personnage que l’homme qui y racontait son histoire et dont la parole remplissait toutes les pages. L’intrigue était inexistante, dotée de plus d’une vraisemblance fort douteuse. Passé le milieu du livre, elle se délitait complètement et tournait à une sorte de méditation passablement abstraite à laquelle l’auteur lui-même ne paraissait pas croire et dont il n’avait pas l’air de savoir où elle le mènerait. Surtout, le lecteur éprouvait la désagréable et exaspérante impression que l’écrivain ne lui disait jamais les choses qu’à demi, entretenant une sorte de suspense artificiel, se refusant à lui livrer le secret qui, seul, aurait peut-être donné un peu de prix à son récit. Il en manquait la moitié. 
Le héros du roman – mais nul ne l’aurait pris pour un héros et le livre ne se présentait pas comme un roman – racontait l’expérience singulière qui avait été la sienne. Un matin, il s’était réveillé, persuadé d’avoir égaré un mot dans son sommeil. Une idée délirante s’était emparée de lui. Il avait acquis la conviction que le langage, sous ses yeux, était en train de disparaître et qu’il ne pourrait arrêter l’hémorragie verbale dont l’univers était victime qu’à la condition de retrouver dans sa mémoire le mot qui d’abord lui avait fait défaut. Il se lançait alors dans une longue enquête incohérente parmi ses souvenirs afin de reprendre possession de celui qu’il avait égaré. Et lorsqu’il mettait enfin la main sur lui, au lieu de révéler au lecteur le mot de l’énigme, il annonçait sa décision de renoncer à lui, de l’abandonner à l’oubli qui seul, disait-il, saurait le conserver en vie


Voilà, je ne l’aurais pas mieux dit.
Ce qui me conforte aussi dans mon hypothèse que tout cela est volontaire et un peu pervers. Contre la page blanche, écrivons n’importe quoi, et avouons le à la fin. 


Il me reste une chose à faire : oublier cette lecture. Ce ne sera pas le plus difficile.



Né le 18 juin 1962 à Paris, Philippe Forest est un écrivain et essayiste français.

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris en 1983 et docteur en lettres de l'université Paris IV en 1991, Philippe Forest enseigne durant sept années dans des universités britanniques : Heriot-Watt (Édimbourg), St John's College (Cambridge), St Andrews, Birkbeck College (université de Londres).

Depuis 1995, il enseigne à l'université de Nantes où il est professeur de littérature. Il est l'auteur de nombreux essais consacrés à la littérature et à l'histoire des courants d'avant-garde (notamment Histoire de Tel Quel et sur Philippe Sollers), et de sept romans. 


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