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Le Coeur battant du monde

Sébastien Spitzer









  • Broché : 448 pages
  • Editeur : Albin Michel (21 août 2019)
  • Collection : A.M. ROM.FRANC
  • Existe en version numérique 
  • Langue : Français






Lorsque l’on s’attache au misérable quotidien de Charlotte , enceinte d’un enfant dont le père est parti tenter sa chance en Amérique, traitant son infortune dans les bas-fonds de Londres, on est loin d’imaginer que l’histoire nous conduira dans l’intimité de deux géants de l’histoire du 19è siècle, à savoir Marx dit le Maure et son allié (mais après lecture, peut-on parler d’alliance, tant la nature de leur relation est peu claire),  Engels. 

C’est sur l’existence d’un fils caché du rédacteur  du Capital que Sébastien Spitzer construit le récit. La naissance clandestine, les premières années près de celle qui fut sa mère de substitution, la pauvreté, même si tout cela est sorti de l’imagination de l’auteur, puisque l’on sait peu de choses du bâtard, dont les instances officielles ont longtemps réussi à cacher la réalité, pour ne pas ternir l’image du géniteur.

Et pourtant, elle n’est pas reluisante cette image : si Marx défend sur le papier l’opprimé , il semble pourtant éprouver à son égard le plus profond mépris, dans sa vie de tous les jours. Et son train de vie financé par Engels aurait pu être à l’origine d’une dissonance cognitive dont il ne semble pas souffrir. 

Le contexte historique est passionnant : c’est l’époque où le commerce florissant du coton, importé des Amériques, fait vivre (ou plutôt survivre) le peuple des ouvriers dont le maigre salaire parvient à peine à les nourrir, dans des conditions d’insalubrité qui tuent avant l’âge. 
La situation s’aggrave encore lorsque la Guerre de Sécession ruine l’importation de la précieuse matière première. 

L’écriture est vivante, faite de phrases courtes et le plus souvent au présent. L’incursion de la petite histoire dans la grande Histoire a toujours un effet très positif sur l’intérêt et suscite l’envie de poursuivre la lecture sans répit.


Très beau second roman, qui confirme le talent de l’auteur .





"Bagasses!"
"Rombière!"
la langue des grands mâles a d'infinies richesses pour maudire la beauté qui refuse de se livrer. Elle bataille et s'acharne. C'est la grammaire des fous. Des phrases de corps à corps. Des mots à bout portant. Des apostrophes blessantes.

*

En Irlande, quand la fièvre de la famine répandait ses dais noirs, Charlotte a vu tous les membres de sa famille se presser devant les portes de ces sociétés-là. Société philanthropique du secours à l’Irlande. Société philanthropique des quakers de l’Est. Société philanthropique protestante. Ils étaient des milliers à s’y rendre, crevant de faim et de peur, le visage marqué par la malaria, infestés de gale et de poux, cloqués, fuyant leurs champs en ruine parce que le champignon avait tout saccagé. Le mildiou.
Philanthropie.
Quelle blague !
C’est cette philanthropie qui offrait des savons pour que les pauvres crèvent propres. Pour chasser le choléra.
Maudite philanthropie !

*

Londres est la ville-monde immonde. Ses rues sentent l'exil et la suie, le curry, le safran, le houblon, le vinaigre et l'opium. La plus grande ville du monde est une Babylone à bout, traversée de mille langues, repue de tout ce que l'Empire ne peut plus absorber. Elle a le cœur des Tudors et se gave en avalant les faibles. Et quand elle n'en peut plus, elle les vomit plus loin et les laisse s'entasser dans ses faubourgs sinistres.









Sébastien Spitzer est journaliste et écrivain français. 
Le Coeur battant du monde est son second roman

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