- Broché : 368 pages
- Editeur : Gallimard (12 mars 2020)
- Collection : Du monde entier
- Existe en version numérique.
- Traduction (Anglais ) : Elodie Leplat
Après La Salle de Bal, roman qui se déroulait au début du vingtième siècle, Anna Hope prend le parti d’inscrire son récit de nos jours, à travers les confidences de trois trentenaires. Si semblables et si différentes. Avec en filigrane le féminisme et ses chausse-trapes. L’une est en mal d’enfant, la deuxième est encombrée par une maternité qui la blesse dans son incapacité à faire face, et la troisième situe ses ambitions ailleurs dans un monde artistique sans pitié.
Les trois amies traversent une décennie de fêtes, de brouilles, de confidences, unies par un lien qui résiste au pire, y compris la trahison,
« Elle sait qu’elles ont vécu des maladies, des enfants, pas d’enfants, qu’elles forment une tribu, ces femmes, avec leurs corps cabossés et leurs cicatrices »
Le récit n’est pas linéaire et ce procédé parfois lourd est ici suffisamment malin pour aiguiser la curiosité et prendre du plaisir à revenir en arrière pour mettre en lumière la complexité du présent.
On s’y attache rapidement, à ces trois femmes qui exposent leurs forces et leurs fragilités, qu’elles partagent malgré leurs différences, que l’auteur analyse dans le contexte familial de chacune et les contraintes d’un vingt-et-unième siècle que l’on imagine peu apte à résoudre cette équation à multiples facteurs : féminisme et maternité.
Très beau récit, écrit avec sensibilité et adresse, très différent du précédent, mais tout aussi questionnant.
Pendant que Sarah dort elles se réunissent autour de la table de la cuisine. elles prennent relais. font s'asseoir Lissa et lui servent du vin, ou du thé. Elles lui prennent le visage entre les mains, pleurent, lui embrassent les joues, lui disent à quel point elle ressemble à sa mère, et quand dans leur étreinte elles serrent Lissa contre leur poitrine, elle sait qu'elles ont vécu des maladies, des enfants, pas d'enfants, et qu'elles forment une tribu, ces femmes, avec leurs corps cabossés et leurs cicatrices.
*
Il y a huit ans, quand elle a emménagé dans le quartier, c’était un Jamaïcain qui tenait la poissonnerie. La boutique était peinte aux couleurs de la Jamaïque. Il vendait du poisson frais et des salaisons, des légumes et d’autres bricoles dans le fond : encens, cassettes de reggae piratées. Il avait un visage magnifique. Quand son magasin a été vendu en douce à un promoteur immobilier, une campagne d’aide a été lancée : articles publiés dans le Guardian par des écrivains du quartier, sit-in organisé dans un café de la rue qui avait pour propriétaire le même promoteur. Dans la salle paroissiale s’était tenue une réunion de protestation à laquelle tous les habitants avaient participé – Hannah se souvient d’un type d’une cinquantaine d’années, rouge de rage, qui s’égosillait, debout : Je me rappelle l’époque où ça valait pas un rond ici. C’était bien mieux.
Mais désormais les remous sont apaisés, désormais le carrelage en marbre et les poissons de ligne remplacent les ananas, la morue salée et les bananes plantains. Cette poissonnerie n’est plus nouvelle. Et, malgré un malaise résiduel de temps à autre, Hannah l’aime bien, avec son arrivage journalier, ses jeunes baratineurs, et son air de dire que l’abondance règne toujours dans la mer – que tout pourrait encore aller pour le mieux dans ce monde.
*
On leur a demandé de se présenter tôt à l’hôpital, où Nathan et elle sont assis en silence, côte à côte sur des chaises en plastique rigide clouées au sol, tandis que l’aube se lève sur Londres.
Nathan passe en revue ses mails professionnels sur son portable tandis qu’Hannah compte les couples. Il y en a sept. Elle connaît les statistiques : 24 % de ceux dans sa fourchette d’âge concevront, 15 % parmi ceux plus âgés qu’elle, un peu plus pour les moins de trente-cinq ans. Elle observe les visages, devine les âges, essaie de calculer. Combien de ceux qui sont présents dans cette pièce se montreront chanceux ? Un couple ? Deux ?
Anna Hope est née à Manchester. Elle a étudié à Oxford et à Londres. Après Le chagrin des vivants et La salle de bal (prix des lectrices de Elle 2018), Nos espérances est son troisième roman.
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