René Barjavel
Se replonger dans une oeuvre lue il y a plusieurs décennies permet d’évaluer le temps qui passe : les années et l’expérience de la vie et de la lecture ont forgé un lecteur bien différent, et les oeuvres elles-mêmes subissent parfois les assauts de la désuétude. Obsolescence programmée par le principe même de la vie…
La Nuit des temps a été un roman culte de mon adolescence, au point qu’il m’en reste en mémoire des passages entiers presque intacts, même si j’avais oublié le coeur de l’histoire : l’expédition en antarctique, la découverte d’une structure mystérieuse sous la banquise et le réveil des restes d’une civilisation enfouie, et surtout l’histoire d’un amour idéal, mais voué à l’échec, entre deux êtres parfaits, prêts à tout pour ne pas se quitter.
Lorsque le roman est paru en 1968, le roman a été classé Science-fiction, et il ne me semble pas qu’à l’époque les romans jeunesse ou Young adult se distinguaient de l’ensemble des parutions. Or c’est ce qui m’a sauté aux yeux au cours de cette relecture. Le thème général, l’aspect aventure scientifique et surtout la pudeur des scènes érotiques, destinerait de nos jours cet ouvrage aux rayons jeunesse.
Le scénario se prête bien à un état des lieux géopolitique à peine caricatural !
Cela veut dire aussi que la lectrice a aussi un peu changé ! Le roman m’a un peu déçue, les méthodes d’exploration scientifique sont un peu désuètes et les personnages sont trop lisses et trop parfaits. Les codes ont également évolués en ce qui concerne le rôle des femmes : ainsi par exemple les bases où résident les expéditions étaient « si parfaites qu’on avait pu accepter la présence des femmes ». Et le politiquement correct n’était pas de mise en 1968 où la stigmatisation caricaturale des types humains ne posait pas de problème !
Je conseillerais volontiers ce roman à des ados, mais avec des explications sur le contexte et l’époque de la parution du roman.
381 pages Pocket 1988
L’aventure commença par une mission des plus banales, la routine, le quotidien, l’ordinaire. Il y avait des années que le continent antarctique n’était plus l’affaire des intrépides, mais celle des sages organisateurs.
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La terre avait perdu l'équilibre de sa rotation et s'était affolée comme une toupie basculée avant de retrouver un nouvel équilibre sur des bases différentes. Ces changements d'allure avait fêlé l’écorce, provoqué partout des séismes et des éruptions, projeté hors des fosses océanes les eaux inertes dont la masse fantastique avait submergé et ravagé les terres. Il fallait sans doute voir dans cet événement l'origine du mythe du déluge qu'on retrouve aujourd'hui dans des traditions des peuples de toutes les parties du monde.
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Vous verrez, c'est Paris… Il n'y a des fleurs que dans les boutiques derrière les vitres, mais il y a aussi les robes-fleurs, les chapeaux-fleurs, le jardin des boutiques, partout, partout dans les rues, des fleurs de bas, nylon jaune-orange-bleue, chaussures-arc-en-ciel, marguerites-robes, un peu -beaucoup-passionnément, jamais, pas du tout, jamais–jamais, le plus beau jardin pour la femme, elle entre, elle choisit, elle est fleur elle-même, fleur fleurie d'autres fleurs, c'est Paris la merveille, c'est là que je vous emmène !…
Roman jeunesse, la scène de l'étranglement? Heu... Y a plus de jeunesse, alors!
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