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Tenir sa langue ⭐️⭐️⭐️⭐️

 Polina Panassenko











C’est lorsqu’elle a voulu inscrire son prénom de naissance sur ses papiers d’identité que Polina, a découvert qu’être autorisée à utiliser son prénom francisé, conformément à la demande de son père des années plus tôt, signifie en fait renoncer au prénom initial ! Pas d’autre recours que la lourde machine judiciaire pour retrouver officiellement ce prénom originel. 


Quelques chapitres mettent bien en évidence l’absurdité du processus, mais cette quête de l’identité est surtout l’occasion de convoquer les souvenirs de l’enfant qui quitte la terre natale pour débarquer dans ce pays inconnu, immergée dans un bain de langage dont les sons ne font pas sens. Jongler entre les deux langues pour ne pas perdre le russe, mais s’intégrer dans ce pays qui l’a accueillie.



La double culture est une richesse qui peut cependant peser lourd et engendrer des quiproquos désagréables. Le juste équilibre entre l’assimilation et la fidélité aux origines est un défi quotidien.


Avec beaucoup de fantaisie, et un art de restituer les balbutiements d’une enfant qui découvre une langue inconnue, les sons lui parviennent, l’imagination fait le reste, Polina Panassenko nous propose un récit attachant, drôle, mais qui n’occulte pas les écueils d’un exil obligé.


Très agréable premier roman, qui révèle un vrai talent d’écriture. 


190 pages L’olivier août 2022








Je marche vers le métro, je me dis : surtout ne ressasse pas. Je m'assois dans la ligne cinq. De Bobigny à Oberkampf, je ressasse. De Oberkampf à Croix de Chavaux, je ressasse encore plus. Est-ce que c'est dans mon intérêt ? Est-ce que c'est dans mon intérêt ? P é t a s s e.


*


Le carré jaune, c'est du fromage. Quand il fait des bulles, on met une patate dans son assiette et on le verse dessus. Il faut faire très attention à ne pas toucher la mini pelle avec une fourchette. Seulement avec le petit bout de bois. Même si c'est moins pratique. Sinon on raye les mini pelle et c'est très grave parce qu'elles font partie de la boîte noire et que c'est précieux. Quand on rentre chez nous, je repense encore à la boîte noire. Raklète. Je ne suis pas prêt d'oublier son nom.


*


Tout le monde en cercle. Main moite  dans main moite. Rotation dans les sens des aiguilles d'une montre. On plante les choux. Allez, retour. Allez, retour. On ne fait que ça. On plante. On plante. Avec toutes les parties du corps. On plante puis on se demande si on a bien planté. À la bonne mode. En ce qui me concerne, ça se passe mal. Les modes changent trop vite, je n'arrive pas à suivre. Jusqu'à la mode, à la mode ça va. Mais à partir d'on les plante avec je panique.


*


À Sciences-po, le premier jour de cours, on s'est retrouvé dans le même groupe d’ « introduction à la sociologie ». Je ne connaissais personne. Je me suis assise derrière une rangée de types de mon âge qui avaient déjà une cravate enfoncée dans la pomme d'Adam et un attaché-case en cuir. Je me suis dit qu’à par la calvitie ça ne leur faisait pas beaucoup de marche pour la suite.







Née à Moscou, Polina Panassenko est auteure, traductrice et comédienne.Tenir sa langue est son premier roman 

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