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Caledonian Road ⭐️⭐️⭐️⭐️
Andrew O'Hagan
L’homme qui peuple ces pages est un critique d’art. Il a été remarqué récemment par la publication d’une biographie de Vermeer. Une niche éditoriale, mais salué par la critique. Malgré ce succès d’estime, l’homme peine à boucler son budget, et c’est un sujet tabou, un problème qu’il doit tenter de résoudre en toute discrétion :
« l'argent : un mystère anglais, rarement élucidé. Campbell, et sa femme ne parlait jamais vraiment finance ; ils affectaient de prétendre que tout cela était assez stupide. »
Il a dû emprunter de l’argent à un ami, ce qui se révèlera une grosse erreur. Il a même écrit un ouvrage de développement personnel, mais il ne peut cependant se résoudre à le publier sous son propre nom; il suggère à son éditeur de l’attribuer à un jeune auteur en vogue, avec un accord financier de bon aloi !
Les mauvais choix s’accumulent pour ce quinquagénaire qui semble ne pas mesurer les dangers qui le menacent dans un monde très corrompu dont il ne maîtrise plus ni les enjeux ni les codes.
La lecture est fastidieuse au départ, c’est à dire dans les cent cinquante premières pages (car l’ouvrage est un joli pavé) : de nombreux personnages sont présentés, la famille se décline à l’infini et on a un peu de mal à voir où veut nous mener l’auteur. Cela vaut le coup cependant de s’accrocher, car l’intrigue foisonnante finit par se recentrer et devient addictive. Les difficultés financières ordinaires de Campbell ne sont qu’un sommet émergé d’un iceberg et malgré lui, il va se trouver impliqué dans des affaires de corruption internationale !
Prenant parfois des allures de thriller , le roman met en scène de personnages peu recommandables, et il convient de se méfier de tous et en tout lieu.
Une note pour ce personnage ambigu qu’est Milo « son trublion préféré », un étudiant prêt à donner beaucoup pour ses convictions politiques, mais dont on ne sait jamais clairement s’il a décidé de faire plonger son professeur, ou au contraire lui venir en aide…. La trahison est une des armes de destruction massive largement répandue.
N’oublions pas la locataire perverse, qui harcèle la famille Flynn : un petit caillou dans la chaussure, capable de déclencher le pire !
Andrew A’Hagan nous offre un portrait sans concession d’une Angleterre pourrie, le ver dans le fruit atteint même les instances officielles !
C’est la naïveté du héros qui permet de s’y attacher mais n’y aurait-il pas un plaisir malsain à se délecter de ses bévues.
Au total, après la mise en garde des débuts fastidieux, un grand plaisir de lecture !
Merci à Netgalley et aux éditions Métailié.
656 pages Métailié 22 août 2025
Traduction Céline Schwaller
#CaledonianRoad #NetGalleyFrance
Campbell continuait à se persuader que son livre était une riposte intellectuelle, subtile et ludique, à l'époque qu'ils traversaient, mais en réalité, il avait simplement besoin d'argent. Il vivait avec sa duplicité comme si c'était une énergie. Il n'en voyait aucun danger.
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Je suis tout à fait pour que des jeunes se collent à des grilles à la super glu. J'aimerais juste qu'ils se lavent les cheveux de temps en temps.
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il aimait prendre des risques, mais il avait visé trop haut avec la salade, et il alla se chercher un petit pain au bacon
Né à Glasgow en 1968, Andrew O’Hagan est un écrivain écossais.
Lire aussi
Les forces ⭐️⭐️⭐️
Laura Vasquez
Les Forces : un roman ? Oui si l’on considère qu’un personnage de fiction une narratrice se confie au lecteur en s’offrant une sorte de parcours initiatique dans sa recherche de vérité. Une recherche de vérité qui fait suite à une épiphanie : tout le monde ment. Alors pourquoi cette question ? Parce que le mode d’écriture interroge. Il évoque un flux de pensée, d’où jaillissent de temps à autre des fulgurances, des phrases qui marquent pour la lumière qu’elles apportent au coeur du récit. Les phrases sont travaillées, malgré la fluidité du discours. Ce travail sur les mots a un nom : c’est de la poésie !
Rien d’étonnant dans ce parcours d’autrice, poétesse reconnue.
Poésie donc, en prose mais aussi engagée, pour dénoncer, pour railler aussi des comportements qui portent à sourire. Malgré la difficulté de cette lecture on peut en effet relever des traits d’humour, qui allègent un peu le récit.
Il n’en reste pas moins que la densité des affirmations, des références, des allégories rend cette lecture ardue, à moins de ne se saisir que de la mélodie des phrases et de se délecter d’un trait d’esprit ou d’une remarque aussi judicieuse que maligne !
Quelques temps après la lecture, il ne m’en reste presque rien, qu’une impression de fluidité et d’aisance dans le propos, l’écriture comme arme de militantisme, mais rien d’une intrigue ou des jalons d’un parcours .
Un texte dont je ne suis sans doute pas la cible.
Merci à Netgalley et aux éditions du Sous-sol.
304 pages Editions du sous-sol, 21 août 2025
#LesForces #NetGalleyFrance
Le temps était cassé. Il est cassé. Le temps est déboîté. Le temps se plie. Il se fissure. Il s'use. Le temps est mort. Je suis cassé, je suis dépoté. Je suis jeune. Je me perçois. Je marche. Je suis ici. Il me fallu au moins deux heures pour pas courir ce couloir. Au moins deux jours. Ou deux minutes.*L'argent est devenu la cause de tous les actes autour de nous, et de nos propres gestes, même quand on l'ignore, il est la mesure des choses autour de nous et dans nos vies, même quand on l'ignore.*Le capital est une force sans existence matérielle, son existence est partout. Elle est capable d'entraîner tous les effets, d'une guerre, un shampooing, d'un sentiment de vie, d'un roman de 304 pages, d'une vieille photographie d'un poète sénégalais à la livraison d'un plat chaud.*Je mets du sens dans mes paroles, et même si je n'en mets pas, le sens s'y met tout seul .*Nous croyons avoir quelques accès aux choses elle-même, lorsque nous parlons d'arbres, de couleur, de neige et de fleurs, et cependant nous ne possédons rien que des métaphores des choses, qui ne correspond aucunement aux entités originelles
Née en 1989, Laura Vazquez est poète et romancière.
Ambition morale ⭐️⭐️⭐️
Rutger Bregman
Crispation dès les premières pages : les titres de chapitre en forme d’injonction ont tendance à me hérisser les poils ! De quoi alimenter ma paranoïa ciblée sur le développement personnel, du genre rentre-dedans. La forme s’explique cependant, la cause est si ardemment soutenue que le ton se veut persuasif, pas question de laisser le lecteur s’endormir sur un sujet aussi important.
On découvre ensuite que le propos s’adresse plutôt à une population jeune, avant trente ans, c’est à dire à des citoyens qui ont encore en leurs mains le pouvoir de changer les choses. De ce fait, personnellement le reste de la lecture est plus décontractée, j’ai atteint la date de péremption. Cependant, ne pas abandonner trop tôt le challenge. iI ne s’agit pas de dire : ce n’est pas pour moi, le rôle des seniors est dans la mesure du possible la transmission !
Faire preuve d’ambition morale, c’est donc manifester la volonté de changer le monde ! Des exemples remarquables étayent la démonstration : ainsi ce sont des individus motivés, agissant seuls au départ, qui ont été à l’origine de l’abolition de l’esclavage. Clarkson, Rosa Park, ont refusé de subir la loi générale, leur détermination a fait le reste. L’auteur précise que leur comportement est contagieux. Leur exemple incite les proches à s’engager dans le combat. Le processus est identique pour les personnes qui ont bravé le danger en cachant des juifs pendant la guerre. L’initiative de quelques-uns a fait boule de neige.
L’essai passe en revue les grandes causes qui méritent à notre époque de mobiliser les bonnes volontés, la santé, l’écologie, la répartition des richesses. Les idées ne manquent pas si l’on veut consacrer du temps au bien-être de l’humanité !
La personnalité de ces leaders qui ont pu faire bouger l’ordre établi n’est pas facile à cerner, même si se détachent des profils à forte tendance compassionnelle, et surtout indifférents à l’opinion que l’on a d’eux. Des fonceurs que l’adversité stimulerait, plus qu’elle ne les découragerait. Il me semble cependant, que dans les trajectoires étudiées, une opportunité a déclenché presque à chaque fois la décision d’agir. Le hasard s’est immiscé dans le destin de ces héros de l’histoire. Il n’est pas le seule en cause, , certes il leur a fallu ensuite de la pugnacité pour ne pas se décourager devant les innombrables obstacle sur le parcours
La démonstration est argumentée, soutenue avec passion, sur le ton d’une conférence TED.
Un ouvrage qui correspond tout de même plus à du développement personnel qu’à de la philosophie, et qui se lit sans difficulté.
Parviendra t-il à provoquer des vocations pour un monde meilleur ?
Merci à Babelio et aux éditions du Seuil
304 pages Seuil 12 septembre 2025
TO : Moral ambition
Traducteur : Guillaume Deneufbourg
Masse critique Babelio
Si vous aspirez à changer le monde, mieux vaut rejoindre un mouvement idéologique, voire en lancer un vous-même. Si vous voulez vraiment faire la différence, il faut oser s'écarter des sentiers battus et accepter d'être considéré comme un « illuminé ». Tous les progrès réalisés par l'humanité ont d'abord été perçus comme des concepts farfelus émanant d'une minorité marginale. Il en est ainsi du théorème de Pythagore ou de l'abolition de l’esclavage.
*
La dure réalité, c'est qu'on ne peut jamais tout faire. Il y a toujours une nouvelle montagne à gravir, toujours une nouvelle mission à mener à bien. Il y a toujours, quelque part, un enfant en train de se noyer dans un état. Cela ne s'arrête jamais. La réside un réel danger : l'ambition morale peut engloutir toute votre vie.
Né aux Pays-bas en 1988, Rutger Bregman est écrivain, historien et journaliste.
Il a publié quatre livres sur l'histoire, la philosophie et l’économie.
Trois noyaux d'abricot ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️
Patrice Guirao
Patrice Guirao nous propose un premier fil narratif, ténu, et qui pourtant découle du récit plus dense qui nous sera offert. Un roman dans le roman, constitué des têtes de chapitres, qui, phrase après phrase reconstituent un drame. Pris dans cette tourmente, Sauveur se souvient. Il a cinq ans, il a six ans, il a sept, il a huit ans et c’est la guerre. C’est avec ce leitmotiv que Sauveur ponctue le récit de ce qu’il perçoit au cours de ces années d’enfance, avec ce regard naïf et ouvert, qu’il porte sur la vie dans son village algérien. La vie quotidienne, avec son lot de deuil, de joie et d’histoires avec les copains, qu’ils appellent Pitzouille ou Badjel, qu’ils jouent au pitchak ou aux pignols. La famille est unie, Mémé raconte des histoires, les amis se reçoivent. La vie serait ordinairement heureuse, s’il n’y avait pas de couvre-feu, ou si l’on apprenait pas le décès violent de ceux que l’on côtoient tous les jours. Peu à peu l’ambiance de guerre est clairement établie, parce que les hostilités se sont aggravées et que le regard de l’enfant s’ouvre.
La mère supplie le père de quitter ce pays, il ne le feront que lorsque leur survie est menacée. Dans ces conditions difficiles, malgré la pugnacité de Mémé qui ne s’en laisse pas raconter par un employé pointilleux.
Le ton pourrait paraître léger, car le drame humain qui se vit dans ces pages est relaté par le récit d’un enfant, Mais c’est malgré tout un quotidien de guerre, avec les atrocités que l’on connaît. Et l’on vit de l’intérieur cette évolution progressive des relations humaines : tu dois te méfier celui qui la veille était ton ami. Suspicion ambiante aussi : untel n’aurait-il pas changé de camp ? Même si l’histoire nous dit que cette terre était usurpée et que le traitement n’était pas égalitaire, une génération de résidents doit quitter ce pays où elle a grandit et qui reste celui de ses ancêtres.
C’est toute l’histoire des années soixante avec l’arrivée en France des « pieds-noirs » , exclus d’Algérie, et qui devront lutter pour se faire une place loin des figuiers et du soleil.
Le roman se lit avec plaisir, malgré la gravité du propos. C’est le propre des récits dont le narrateur est un enfant. Exercice pas toujours facile, mais ici le processus tient la route à peu d’exceptions près.
Un beau roman, à la fois tendre et tragique.
Merci à Babelio et aux éditions Au vent des îles
235 pages Au vent des îles 11 avril 2025
Masse critique Babelio
De vieilles histoires qui ressemblent à un vieux livre d'image dont seule Mémé sait tourner les pages. Elles sentent la terre, fière et sauvage, l'arbousier et le figuier en fleurs.
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Pépé est allongé sur son lit, un drap blanc tiré jusque sous le menton. Je ne vois que sa tête. Il n'a pas son chapeau. Ses cheveux sont blancs. Très blanc.s Je préfère quand il porte son feutre marron usé sur les côtés.
Né en 1954, Patrice Guirao grandit à Mascara, en Algérie. Romancier, il est aussi un des paroliers majeurs de sa génération. Trois noyaux d'abricots est le roman le plus singulier de sa bibliographie et le plus personnel.
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