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Saturne ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

Sarah Chiche




 

  • Broché : 208 pages
  • Existe en version numérique
  • Éditeur : Le Seuil (20 août 2020)
  • Langue : Français




Pour la narratrice, l’effondrement qui a marqué l’histoire de sa famille l’a peu atteinte sur le moment, puisqu’elle n’avait que quinze mois, lorsque la maladie a emporté son père. Elle retraçe l’histoire de ce lignage, à partir des grands-parents qui ont du fuir l’Algérie en laissant là-bas l’essentiel de la fortune qu’ils y avaient amassée. Avec l’énergie qui les caractérisaient, ils créent dans le pays qui les accueille, un nouvel empire faits de cliniques privées, avec un sens aigu des affaires. Si Armand le fils aîné semble entrer dans le moule, Harry le cadet, le père de Sarah s’écarte des chemins consacrés, et unit son destin à celui d’Eve , qui est loin de satisfaire aux exigences des parents en matière d’alliance. C’est donc avec cette mère fantasque et en l’absence de son père que Sarah devra se construire.


Ce qui frappe d’emblée à la lecture de cet écrit, c’est l’élégance et la richesse de l’écriture, profondément envoutante, au point parfois de se laisser mettre à distance du propos. C’était déjà le cas avec Les Enténébrés dont j’aurais du mal sans me pencher  sur mes notes à évoquer le sujet. 

Il n’empêche que l’on se laisse porter avec bonheur par cette langue où chaque mot est choisi et chaque phrase assemblée avec une grande maitrise.  C’est certes sombre, mais suffisamment bien exprimé pour que l’on accepte de partager ces évocations douloureuses.



Le poids des drames familiaux sur le destin des générations suivantes, la vanité des succès qui ne survivront pas au temps qui passe, la difficulté de s’affirmer sur des fondations marquées par  des malheurs ordinaires, de ceux qui existent dans toute famille, ce sont ces fondamentaux qui transparaissent dans ce récit, superbement mis en mots.



Il ne verrait jamais les images de Saturne ni des autres géantes gazeuses. Il se représentera peut-être toutes les années qu'il resterait à sa famille à flotter dans le vaste océan subglaciaire de leur bon droit à être ce qu'ils étaient, alors qu'il n'y a peut-être rien, aucun Dieu, aucun sens, qui puisse justifier que le bien consiste à se conduire comme ceci ou comme cela, ni même qu' il y a un quelconque bien, ni même s'il est pertinent de se battre pour continuer d'exister.

*

C'est seulement maintenant, dans la mort de l'enfance, dans la description de tout ce que j'ai été, dans le silence d'après les grands chagrins comme d'après les grandes joies, dans l'amour qui se donne pour lui-même sans plus craindre l'abandon, dans l'acceptation du vieillissement qui s'annonce, que les mots viennent pour dire ce que j'aurais dû dire, et faire ce que j'aurais dû faire, si je n'avais pas été ce que j'avais été alors. Et j'ai honte.

*

Debout sur le pont avant, appuyée sur la rambarde, Louise fixe la Méditerranée vide de toutes ces épaves fantômes qui la hantent rond cinquante  ans plus tard – car ainsi voguons-nous disloqués dans la tempête des années, otages de la mer sombre où l'exil des uns n'efface jamais celui des autres, coupables et victimes du passé.











Sarah Chiche est écrivain, psychologue clinicienne et psychanalyste. Elle est l'auteur de deux romans : L'inachevée (Grasset, 2008) et L'Emprise (Grasset, 2010), et de trois essais : Personne(s), d’après Le Livre de l'Intranquillité de Fernando Pessoa (Éditions Cécile Defaut, 2013), Éthique du mikado, essai sur le cinéma de Michael Haneke (PUF, 2015), Une histoire érotique de la psychanalyse : de la nourrice de Freud aux amants d'aujourd'hui (Payot, 2018).

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