Nicolas Mathieu
Ils ont quarante ans, l’âge des premiers bilans, avec malgré tout une éventualité de redresser la barre, de changer de vie, d’aller au bout des projets. Ou pas…
Elle s’est propulsée dans des sphères que ses origines ne permettaient à peine d’envisager, laissant ses parents à distance, incapables de comprendre le fonctionnement du milieu qu’elle fréquente. Beau mariage, beaux enfants, mais une alerte : un épuisement qui a nécessité un retour en province, pour un peu moins de pression. Et ça, ça ne pardonne pas. C’est inscrit comme une balafre au milieu d’un visage : fragilité…Est-ce le signal de la dégringolade générale ?
Lui est resté géographiquement et socialement proche de ses bases. Il est commercial pour une boite de nutrition animale, vit une vie de couple bancale, et peu satisfaisante. Il conserve le secret espoir de revenir dans les lumières des projecteurs comme lors de son adolescence lorsque le hockey sur glace l’avait auréolé d’une gloire éphémère.
Ces deux parcours, si parallèles, si différents, se croiseront : mais que peuvent-ils en attendre ?
Nicolas Mathieu sait avec adresse pointer les faiblesses de notre organisation sociale. Il sait appuyer là où ça fait mal. Il souligne les travers de langage, les tics qui traduisent immédiatement les origines de ses contemporains. L’absurdité de l’illusion de choisir sa vie, alors que les dés sont jetés dès le départ. Les transfuges de classe qui sont l’exception, restent malgré tout à jamais inconfortables entre deux milieux, un peu comme la seconde génération de familles transplantées.
C’est très addictif, très fluide, et ça se déguste avec plaisir : on retrouve l’ambiance du roman précédent, vainqueur du Goncourt, Leurs Enfants après eux, même si Michel Sardou a détrôné Diane Tell. Et c’est parfait.
400 pages Actes Sud 2 février 2022
Sélection Prix Elle 2022
C'est elle qui faisait palpiter la carasse à moitié morte de ce rade déchu, par son zèle inlassable, son souci constant de l'hygiène (ce qui expliquait la légère odeur de javel et les incessantes coups d'éponge), en exerçant une autorité incontestable sur ses ouailles aussi, des vieillards surtout dont elle surveillait la consommation et les prises de médicaments, quelques juristes venus du palais de justice tout proche pour boire des canons en douce, des camelots les jours de marché, les facteurs assoiffés et d'authentiques poivrots bien sûr, épaves soucieuses qui savaient trouver là un refuge dans leurs journées émiettées par la soif.
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Elle redécouvrait donc, comme pour la première fois, ce moment où un enfant sort de l'engourdissement du bas âge, quitte ses manières de bestiole avide, et se met à raisonner, faire des blagues, sortir des trucs qui peuvent changer l'humeur d'un repas ou laisser les adultes bouche bée.
Né en 1978 dans les Vosges, Nicolas Mathieu envisage d'être écrivain dès son adolescence. Une vocation que la reconnaissance de son talent permettra d'épanouir et de sortir des années de galère qui ont précédé le succès. Son premier roman Aux Animaux la guerre est récompensé par plusieurs prix.
A lire aussi : Leurs enfants après eux, prix Goncourt 2018
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