Elle a onze ans et c’est auprès de Pépé Jean qu’elle apprend la pêche, l’histoire de sa famille et l’histoire plus lointaine dont les remous ont aussi atteint ses proches. Ces interludes heureux mettent à distance les sarcasmes de ses congénères, focalisés sur sa chevelure flamboyante. Jusqu’à l’humiliation ultime, la honte de voir son amour pour le beau Camille brandi comme un étendard pour mieux l’anéantir.
La fin de ce bonheur gardera un goût de croissant frais, alors qu’une prédiction funeste viendra assombrir le cours de sa destinée.
Les années passent et si la chrysalide s’est transformée en un splendide papillon, l’oracle est là et influe sur tous le choix de la jeune femme, pour conjurer le sort :
« Le monde s’effondrera en 2023, l’été de tes quarante deux ans »
Le monde s’effondrera, l’expression est suffisamment ambiguë pour que la menace englobe à la fois la destinée de l’humanité (le premier chapitre apocalyptique avait déjà mis le doute) et le sort unique de Cassandre. Pour la jeune femme, le danger est omniprésent, et nécessite une veille permanente.
L’angoisse créée par la prédiction et les états des lieux ponctuels signant la dégradation de la planète, confèrent au roman un rythme particulier, qui l’apparentent au genre thriller. La qualité de la narration et de la construction sont remarquables, la dynamique du récit, comme une respiration qui s’accélère pour oxygéner un corps en pleine course éperdue, est impressionnante.
C’est un récit hypnotisant et convaincant.
208 pages Stock 12 janvier 2022
Sélection POL 2022
Quand les gens s'arrangent avec un mort et qu'ils improvisent une fin pourrie, c'est que le mort s'est pendu ou balancé dans le vide. Les suicides se rangent dans les placards de famille.
*
Il est tard dans le monde et le soleil écrase les mers, la vie, les montagnes. Les forêts sont noires, rouges, mortes. Tout est fondu, désolé. Les paysages perdus. L'océan est un bain de plastique et de méduses. Température de l'eau, trente-huit degrés. Les hommes ont disparu, rayés.
*
Je lui annonce que je m'en vais, que je quitte la France pour une petite île espagnole. Samuel arrête de bouffer le chorizo, ses joues deviennent rouges, puis exactement pareil qu'un bébé ses yeux se chargent d'eau. Je me mets à chialer aussi et nous voilà trempés, au bord de la terrasse du bar, à nous dire au revoir comme au théâtre, comme on peut. Il dit : tu es la seule personne hormis mes parents et mes chiens –et encore pas tous– qui s'est vraiment intéressée à moi. Cette précision canine transforme la nature de nos pleurs. La peine devient un fou rire exagéré qui me tord le bide.
Née en 1980 Julie Estève est journaliste spécialiste d'art contemporain.
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