François Bégaudeau
François Bégaudeau, l’auteur de ce si joli roman intitulé avec sobriété Amour, a commis une bourde, une bévue, une blague de potache. De celles qu’il faut éviter à tout prix, surtout si on la diffuse sur une réseau, si confidentiel soit-il.
« j’ai cru ma blague circonscrite à l’entre-soi amical qu’était devenu le forum begaudeau.info"
Car rien de plus efficace pour tronquer, modifier et dénaturer le moindre message que son apparition fut-elle éphémère sur le Net. La blagounette sexiste avait en plus pour coeur de cible une personne réelle, qui s’est sentie humiliée et partagél’affaire, avec bien entendu l’afflux immédiat de commentaires, attirés par la victime potentielle comme des mouches sur un étron.
L’affront est porté en justice. Mais FB n’a pas l’intention de s’excuser, et il explique pourquoi.
Beaucoup plus développé que le roman sus-cité, le texte présente l’historique de ce conflit, en décortique les mécanismes et démontre que, non, il n’est pas l’immonde gros beauf que les commentaires pointent du doigt, qu’il est presque féministe, et conscient aussi des risques du moindre faux pas pour quiconque est un peu connu sur la scène médiatique.
Mais il ne s’arrête pas à un simple défense de son cas personnel, et se livre à une analyse sociale et politique avec pour point de mire l’art, la littérature, le wokisme, les prix littéraires..…
Pas question de rebondir sur le débat engendré par l’affaire, on comprend la démarche et on est plus atterré par la bêtise du processus (la blague et les conséquences démesurées, sans vouloir minimiser l’insulte ressentie par la cible, cela aurait pu se régler face à face sans mobiliser l’appareil judiciaire qui a autre chose à faire). Je retiendrai de cet écrit d’abord la qualité de l’écriture, la solidité de la démonstration, même si c’est parfois un peu redondant, et une réflexion bien menée sur notre fonctionnement social et ses supports numériques, pièges où il est difficile de ne pas tomber. De belles pages sur la littérature également.
Cette tentative de défense sera t-elle capable de réhabiliter l’auteur aux yeux de ses détracteurs ? Rien n’est moins sûr, car la nature humaine fait feu de tout bois et trouve derrière les mots qui justifient de nouveaux arguments pour enfoncer l’accusé.
Merci aux éditions Stock pour l’envoi de ce service de presse numérique via NetGalley France. Cette chronique n’engage que moi.
443 pages Stock 2 octobre 2024
#Commeunemule#NetGalleyFrance
La littérature ne réside pas dans la fiction. Maints morceaux de littérature ne sont pas fictionnels
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Ce qu’une oeuvre fabrique ne relève qu’à la marge de l’expression d’opinions. Prendre une oeuvre par l’opinion qu’elle exprime équivaut à juger d’un pot de rillettes à son code-barres.
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L'adhésion esthétique n'est pas une adhésion d'opinion, chacun l’éprouve au fil des jours, « Je te trouve beau » n'équivaut pas à « je suis d'accord avec ta beauté ». « Tu aimes ce paysage vallonné » n'équivaut pas à « Tu es d'accord avec ce paysage vallonné ».
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Un texte n’est jamais compris pleinement, si chevronné soit son lecteur. L’auteur est littéraire s’il sème des mots qui récitent le malentendu. Il faut aussi que tu n’ailles point /choisir tes mots sans quelque méprise, prescrivait notoirement, Verlaine .
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Pressant un fait, j’obtiens un jus de vérité, si tant est que la pression soit délicate et sourcilleux l’oeil qui examine la goutte au microscope.
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Une société est une gigantesque mosaïque de ressentis. La politique advient au point de télescopage des ressentis.
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L’homme n’est pas dominant par essence - ou s’il l’est ça ne nous regarde pas, car son être social change la donne. Il n’est ps plus porteur d’un gène de la violence que d’un gène du paintball. Il n’est pas plus ontologiquement coupable que la femme n’est ontologiquement victime - ou perfide, ou coquette, ou porteuse d’un gène du bijou cher.
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Nos livres sont infiniment plus audacieux que nous parce que tel un hold-up ils se mijotent à l’abri des regards. Parce que publiés ils passent inaperçus. Parce qu’une fois achetés et vaguement lus ils finissent sur une étagère, offerts aux regards mais fermés, impénétrables, contenu dérobé, impossible de savoir ce qui se trafique à l’intérieur, du reste personne n’y va voir - à peine le feuillette un visiteur cherchant contenance.
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La littérature ne périra pas d’être surveillée mais de la gigantesque indifférence qui l’entoure. Elle ne mourra pas dans le moisi d’une geôle mais seule dans son lit, grand-mère fourbue d’escarres que plus personne ne visite.
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La politique et la littérature ayant chacune la langue bien pendue, on trouve normal qu’elles joignent leurs voix pour le faire dire au monde, dire quoi penser du monde, dire comment changer le monde. C’est bien connaître la politique et mal connaitre la littérature.
Né en 1971, François Bégaudeau est un écrivain, critique littéraire et scénariste français.
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