Nathacha Appanah
Le sujet est poignant. La prose de Nathacha Appanah fait le reste : on est embarqué dans un récit nécessaire et éprouvant.
« Remonter le temps, faire parler les morts, consoler les fantômes, hanter son propre passé, ça n'existe que dans les livres et la folie. »
« J 'ai choisi la « literatir » comme si c'était la seule issue, comme si c'était le seul chemin éclairé qui s'offrait à moi quand je suis sorti de ce trou dans lequel je suis tombée à 17 ans, et j'ai raconté toutes ces histoires avec tous ces mots jusqu'ici. Jusqu'à maintenant. »
Eprouvant car on n’est pas dans la fiction, les trois récits sont bien ancrés dans une réalité affligeante. Les trois femmes dont il est question ont réellement subi un cataclysme dans leur vie de femmes, parce qu’elles sont des femmes. Deux d’entre elles ont trouvé la mort au bout de ce parcours d’horreur. Et si la troisième a échappé à ce destin, elle a le courage de prendre la plume pour faire de nous les confidents de cette épreuve qui l’a marquée à tout jamais.
Parce qu’il est bien question de féminicide, de deux crimes perpétrés par des hommes sur des femmes qu’ils ont soumises. Et ce qui vous touche dans ces récits, c’est qu’on est loin de la fiction. Et l’on sait que la chaine ne s’est pas arrêtée avec ces histoires là, chaque jour dans le monde des femmes sont tuées (85 000 femmes en 2023, selon l’ONU).
La force d’un écrit tel que La nuit au coeur est de sortir ces cas de l’anonymat, de les incarner, de leur redonne vie en quelque sorte, et de les isoler d’un rapport d’information générale.
Ce que Chahinez et Emma ont vécu , Nathacha l’a vécu aussi. Elle a juste eu la chance de pouvoir échapper à son bourreau à temps. Elle est donc légitime pour parler de ses compagnes de martyr. Mais on imagine le courage nécessaire pour replonger dans cette réalité, s’immerger à nouveau dans l’ambiance mortifère de ses années de jeunesse.
Avec beaucoup de pudeur et de respect, Nathacha Appanah nous offre un récit de non fiction bouleversant, qu’elle aborde avec prudence, incluant sa démarche au coeur des lignes, pour
« trouver le mot juste, la formule adéquate » :
« Je vais commencer par écrire une phrase sur la lumière qui rentre dans ce salon. Cette lumière est jaune. Je vais écrire une phrase sur son corps qui s'installe à côté de moi. »
Son expérience a été tellement traumatisante qu’elle met à distance par un tutoiement cette jeune fille qu’elle a été.
Loin d’être une tentative d’autothérapie par l’écriture, l’autrice espère que son témoignage et l’analyse qu’elle fait de ce qui est arrivée aux deux autres femmes puisse être utile :
« Peut-être que je voudrais écrire en ayant l'assurance que l'écriture, les livres, ce travail, cette obsession, que tout ça, ça sert à quelque chose »
On ne peut pas ressortir indemne d’une telle lecture . Elle laissera forcément des traces. Et c’est tant mieux.
283 pages Gallimard 14 août 2025
Fémina 2025
Renaudot des lycéens 2025
Goncourt des lycéens 2025
Remonter le temps, faire parler les morts, consoler les fantômes, hanter son propre passé, ça n'existe que dans les livres et la folie
J'ai choisi la « literatir » comme si c'était la seule issue, comme si c'était le seul chemin éclairé qui s'offrait à moi quand je suis sorti de ce trou dans lequel je suis tombée à 17 ans, et j'ai raconté toutes ces histoires avec tous ces mots jusqu'ici. Jusqu'à maintenant.
Je vais commencer par écrire une phrase sur la lumière qui rentre dans ce salon. Cette lumière est jaune. Je vais écrire une phrase sur son corps qui s'installe à côté de moi.
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Nathacha Appanah est une romancière mauricienne, vivant en France, née en 1973. son premier roman, "Les Rochers de Poudre d'Or", sur l'histoire des engagés indiens, lui vaut le prix RFO du Livre 2003. En 2016, son roman "Tropique de la violence" remporte le tout premier prix Femina des lycéens, le premier Prix Patrimoines 2016, le Prix France Télévisions 2017, le Prix du roman métis des lecteurs 2017 et le Prix du roman métis des lycéens 2017.


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