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Les Bordes ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️

 Aurélie Jeannin




  • Éditeur : HarperCollins (13 janvier 2021)
  • Langue : Français
  • Broché : 224 pages
  • Première sélection Prix Orange







Ça commence avec un trajet en voiture. Une lutte de tous les instants pour se concentrer sur la conduite, et tenter d’ignorer les deux pestes qui s’agitent sur les sièges à l’arrière. Ne pas crier, reste calme. Mission quasi-impossible, d’autant que la destination n’est pas de celles qui font rêver : le pique-nique annuel aux Bordes, tradition incontournable de cette belle-famille, les Bordes, qui parade avec ce nom de famille qui les ancrent sur leur territoire.


Si les enfants sont ingouvernables, l’ambiance à la ferme est très hostile. Sans mots, il y en a peu à franchir les lèvres, l’inimitié transpire,  travers les murs sales et les sols usés et cette chambre restée fermée depuis des années.


Pour cette femme qui lutte avec une anomalie neurologique rare, qui transforme son quotidien en une lutte attentionnelle permanente, l’angoisse est chevillée au corps. Elle est constamment  dans la projection des dangers potentiels et innombrables, qui pourraient atteindre ses enfants. Angoisse d’une mère, sous-tendue par un passé traumatisant, et un présent qui lui prouve chaque jour dans son travail de juge d’instruction que la menace n’est pas uniquement une lubie de névrosée. 


Ce roman provoque une tension extrême, de tous les instants à l’unisson avec cette mère inquiète, qui entraine le lecteur dans cette quête du piège inattendu, qui pourrait nuire à sa progéniture. Et on craint avec elle le moment où quelques secondes d’inattention précipiteraient le récit dans l’ horreur, ou pas. Futur inconnu pour un présent caché. 


C’est aussi le récit de l‘ambivalence d’une femme, épuisée par le désir de bien faire, faille sur laquelle s’appuient les enfants pour la tyranniser, jour et nuit. L’envers du décor de la maternité. 


C’est un récit qui prend aux tripes, avec l‘intensité d’un thriller, alors que le fond de l’histoire restitue des détails du quotidien si familiers. 


Très efficace.




Après, les blessés doivent être soignés, les morts doivent être enterrés. La sidération, l’hébétement ne durent qu'un temps ; il faut vite des gestes que l'on a encore jamais fait, car dans les drames tout est nouveau. Il faut réconforter les peinés, les convaincre que le temps apaise toutes les souffrances. Après, on commente l'avant. Après, on ne voit rien devant. Pas encore. L'après, ce sont d'autres peurs. C'est une autre histoire.


*


Elle ne les voulait pas inexistants, mais absents. Elle voulait qu'ils ne soient plus là. Qu'elle ne leur doive rien, ni réponse, ni action, ni explication, ni service, ni histoire, ni leçon, ni contact. Rien. Qu'elle ne soit plus là pour leurs réclamations, leurs sons. Leurs sons permanents ! Leurs exigences d'enfant, pointue, vivace. Alors que sa colère enflait, elle sentait sa culpabilité, jaune et luisante comme de la graisse, la nourrir sans répit. Elle n'était pas fière d'elle. Elle ne comprenait pas comment elle pouvait si vite oublier ses grandes prises de conscience.


*


Ce petit qui hurlait la nuit, appelait et se rendormait. Chaque nuit sans exception. Et ça la rendait folle, et ça la rendait sourde, aveugle à tout le reste. Incapable de retrouver les bonheurs, les facilités, les plaisirs. Elle était devenu une maman qui répond aux « maman ! », Le jour, la nuit, en permanence. Elle était à bout. Elle rêvait de temps pour elle.










Aurélie Jeannin est conceptrice-rédactrice, consultante spécialisée en identité de marque. Elle est l’autrice d’un premier roman remarqué, Préférer l’hiver (HarperCollins, 2020 ; HarperCollins Poche, 2021). Elle vit avec son mari et ses enfants en forêt, quelque part en France. 




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